Édition du 31 mai 2004 / volume 38, numéro 31
 
  Une percée en chimiothérapie
Mona Nemer découvre l’effet protecteur de la protéine GATA-4 sur les cellules cardiaques

Mona Nemer

Les effets secondaires de la chimiothérapie ne se limitent pas aux nausées, à la fatigue ou à la perte des cheveux. Dans certains cas, ils peuvent s’avérer beaucoup plus graves. Ainsi, les anthracyclines sont parmi les agents de chimiothérapie les plus efficaces, entre autres dans le traitement des cancers du sein, de la prostate et de plusieurs leucémies. Mais ces agents qui tuent les cellules cancéreuses causent aussi la mort de cellules du cœur. «C’est un problème clinique majeur, dit Mona Nemer, directrice de l’unité de recherche en développement et différenciation cardiaques de l’Institut de recherches cliniques de Montréal. Chez les enfants traités pour des leucémies, plus de la moitié développent des problèmes cardiaques.»

Un coup de foudre

C’est un coup de foudre pour Montréal qui, en 1977, a amené cette chercheuse d’origine libanaise, titulaire d’un doctorat en chimie organique, à dire adieu à l’Université du Michigan, qui lui avait pourtant offert une bourse généreuse, et à poursuivre ici sa carrière scientifique. Aujourd’hui reconnue sur la scène internationale comme chef de file dans le domaine de la cardiologie moléculaire, Mona Nemer vient de publier dans le prestigieux journal Proceedings of the National Academy of Sciences USA les résultats de travaux sur une protéine qui pourrait réduire les effets nocifs des traitements de chimiothérapie sur le cœur.

Les effets des anthracyclines peuvent se présenter de deux façons. Dans certains cas, une dysfonction cardiaque aiguë apparaîtra pendant le traitement. On pourra la circonscrire, mais seulement en limitant l’utilisation du médicament. Dans les autres cas, l’effet des anthracyclines sera latent: la destruction des cellules cardiaques ne se manifestera que plus tard, jusqu’à deux ans après la fin du traitement. Les patients, guéris de leur cancer, feront une crise cardiaque, souffriront d’arythmies ou d’autres problèmes cardiaques qui, dans les pires cas, exigeront une transplantation. «Ce qui est terrible avec les cardiomyopathies, c’est qu’elles sont irréversibles, souligne Mona Nemer. On peut parfois en réduire les conséquences, mais on ne peut les guérir.»

Prévenir le mal

On voit bien, dans un tel contexte, l’intérêt d’une stratégie thérapeutique visant à prévenir le mal. Et c’est justement ce que propose Mona Nemer. Son équipe a découvert que la présence d’une protéine cardiaque nommée GATA-4 diminuerait de façon significative l’action néfaste des anthracyclines sur les cellules du cœur. Effectivement, lorsqu’on utilise chez des souris un médicament qui permet d’augmenter la quantité de protéines GATA- 4 dans le cœur, la fonction cardiaque est préservée des conséquences dommageables d’un traitement aux anthracyclines.

Comment la chercheuse a-t-elle été mise sur la piste de la protéine GATA-4? «Avant que les cellules cardiaques meurent sous l’effet des anthracyclines, on peut détecter la déplétion des protéines GATA-4, explique Mona Nemer. On a donc émis l’hypothèse que la déplétion de ces protéines menait à la mort des cellules.» De fait, des expériences in vitro ont montré que, en augmentant ou en diminuant la quantité de protéines GATA-4, on pouvait moduler la survie des cellules et la fonction cardiaque. Chez les souris, une diminution de l’ordre de 50 % des GATA-4 accroissait de beaucoup le risque de défaillance cardiaque au moment d’un stress important.

En terrain connu

Les recherches de Mona Nemer pourront aider des enfants comme Marie-Michèle Chagnon-Martin, 10 ans, qu’on voit entourée de ses parents, Michel Martin et Marianne Chagnon, à l’hôpital Sainte-Justine.

Le médicament qui permet d’augmenter la quantité de GATA-4, la phényléphrine, sert en clinique à d’autres fins, notamment pour soigner l’hypotension. On est donc en terrain connu. «C’est un médicament qui est déjà utilisé chez l’être humain et qui est même présent en petites doses dans les décongestionnants. C’est un avantage considérable, car il ne sera pas nécessaire de passer par l’étape des études de toxicité avant d’entreprendre les essais cliniques», précise la chercheuse.

Les premières études qui seront menées sur le dosage de la phényléphrine porteront probablement sur le cancer du sein. «Le fait que les traitements de chimiothérapie sont administrés dans un cadre hospitalier déjà très bien balisé facilitera la mise en œuvre des essais cliniques», observe Mona Nemer. Une équipe du Texas serait intéressée à entreprendre de telles études.

La stratégie thérapeutique visant à augmenter la concentration de protéines GATA-4 pourrait également être employée pour prévenir des défaillances cardiaques causées par des facteurs génétiques ou un surcroît de stress.

Près de 25 ans après son arrivée en ville, Mona Nemer aime toujours passionnément Montréal, où elle a d’ailleurs fait venir sa famille. «Montréal, c’est chez moi», dit-elle avec fougue. Récemment honorée au gala Femmes de mérite 2004 de la Fondation Y des femmes de Montréal dans la catégorie «sciences et technologie», elle reste aussi une grande amoureuse de son métier qui a à cœur de soutenir les efforts des étudiantes désireuses de se consacrer à la recherche scientifique. «Il faut cesser de leur dire que la maternité est un empêchement à la carrière universitaire, dit la chercheuse, elle-même mère d’une adolescente de 14 ans. Elles finissent par le croire.» Selon elle, ces jeunes femmes ont surtout besoin d’exemples positifs. En tout cas, on peut dire que celles qui s’activent dans son laboratoire en ont tout un sous les yeux.

Marie-Claude Bourdon



 
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