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Bernard Kouchner |
En 2020 au Québec, les personnes âgées de 65 ans et plus seront plus nombreuses que les jeunes de moins de 20 ans. Dans 50 ans, le Québec comptera 20 000 centenaires, contre 800 aujourd’hui. On n’a donc pas fini d’entendre parler du vieillissement de la population et de son impact sur les couts du système de santé.
«Mais n’écoutez pas les économistes de la santé, sinon nous n’avancerons jamais. Le système de santé est couteux parce qu’il est en progrès et nous bénéficions de ce progrès. L’amélioration de la santé est le plus grand bienfait qu’on peut espérer et ce progrès, il se paie.» C’est le message très clair qu’a livré le Dr Bernard Kouchner, ex-ministre français de la Santé, au cours de la conférence qu’il présentait à l’occasion du 50e anniversaire de l’Institut de cardiologie de Montréal le 4 juin à l’Université.
Gastroentérologue de formation, fondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, négociateur pour la France dans la guerre du Kosovo et le génocide du Rwanda, professeur en santé et développement au Conseil national des arts et des métiers de Paris, l’homme aux positions souvent controversées et à la verve intarissable n’a pas manqué de souligner, en pleine campagne électorale, que les politiciens faisaient preuve de malhonnêteté en affirmant qu’on peut améliorer le système de santé sans que cette bonification coute plus cher, alors que les perspectives vont vers une réduction du temps de travail.
L’ex-ministre se montre donc favorable à l’implantation d’un ticket modérateur proportionnel aux revenus pour financer le système de santé. «C’est la seule façon d’assurer l’accès de tous aux services et de maintenir l’égalité de traitement, a-t-il déclaré. Si l’on refuse cette avenue, il faut dire combien cela va couter en fonds publics.»
Par ailleurs, il invite le public et les responsables des services médicaux à repenser les pratiques en vigueur: «Moins souvent, moins rapidement et moins longtemps on hospitalise, mieux c’est pour la personne âgée. Le quart des hospitalisations pourrait être évité. C’est là un problème plus politique que médical.»
Vieillir en santé
Affichant un optimisme teinté d’idéalisme, Bernard Kouchner croit qu’il est possible de vieillir en santé. «On a le droit de ne pas mourir jeune», affirme-t-il. La seule façon de le faire et de réduire la hausse des couts de santé est de miser sur la prévention des maladies qui affectent les gens âgés.
Au premier rang figurent les maladies cardiovasculaires, responsables de 44 % des décès à l’échelle de la planète et de 60 % en Europe de l’Est. Le taux mondial va connaître une explosion avec le vieillissement des populations de la Chine et de l’Inde, où le tabagisme est encore encouragé par la publicité. Selon le Dr Kouchner, le nombre de ces maladies peut facilement être diminué avec l’exercice physique et le bannissement du tabac. Les antihypertenseurs réduisent quant à eux de 15 à 36 % les décès par maladies cardiaques et AVC après 60 ans. Ces médicaments feraient également chuter la fréquence des maladies mentales.
Le médecin compte par ailleurs sur les progrès des biotechnologies – thérapie génique, clonage thérapeutique, thérapie cellulaire, puce à ADN – pour contrer les cancers et les maladies dégénératives comme la démence et la maladie d’Alzheimer.
Mais le plus grand espoir pour le conférencier réside dans le changement des mentalités à l’égard du vieillissement. «On n’a pas à rougir de vieillir et nous devons avoir une image positive du vieillissement, déclare-t-il. Il est idiot de considérer que 65 ans doit être l’âge de la retraite totale.» Il importe que les personnes âgées maintiennent des activités sociales, physiques et intellectuelles valorisées, qu’elles aient une saine alimentation et qu’elles conservent leur autonomie financière.
«Si l’on accepte de payer plus cher pour des bagnoles qu’on change tous les deux ou trois ans, il faut accepter de dépenser plus pour les ainés, qui ne sont pas des voitures et à qui nous devons tant.»
Le conférencier a déploré du même souffle l’isolement social et affectif des gens âgés, qui serait l’un des facteurs altérant le plus leur qualité de vie. À son avis, il est important de les garder le plus longtemps possible dans leur environnement naturel, où ils seraient pris en charge par leur famille afin qu’ils conservent leurs liens affectifs. Lors de la canicule qui a fait 15 000 morts en France l’été dernier, plusieurs cadavres n’ont pas été réclamés parce que les familles de ces personnes ne se sont pas aperçues de leur décès!
Dans son plaidoyer pour une approche éthique du grand âge, Bernard Kouchner a finalement invité son auditoire à repenser le discours social sur le sens de l’existence et à accepter la mort comme une étape de la vie. «Nous n’allons pas vers l’immortalité, rappelle-t-il. La mort n’est pas un échec de la médecine et la voir comme une étape de la vie évite bien des désarrois.»
Daniel Baril