Suzanne Fortier, vice-principal (academic), Queen's University
Jacques Frémont, professeur titulaire à la Faculté de droit
Joseph Hubert, doyen de la Faculté des arts et des sciences
Mireille Mathieu, présidente-directrice générale du CLIPP et professeure titulaire au Département de psychologie
Marc Renaud, président du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH)
Jean Rochon, consultant et ancien ministre du gouvernement du Québec
Luc Vinet, vice-principal exécutif à l'Université McGill
Deux personnes, Roseann Runte, présidente de la Old Dominion University (Virginie), et Jacques Turgeon, doyen de la Faculté de pharmacie, ont demandé que leur nom soit retiré de la liste des personnes pressenties. Il est en effet possible à l'une ou l'autre d'entre elles de retirer son nom de la liste à tout moment. En revanche, le processus de soumission des candidatures est bel et bien terminé.
Quatre personnes en lice ont accepté l'invitation du comité de consultation de rédiger pour Forum un court texte sur leur vision de l'Université. Ces textes sont ici reproduits.
Le processus de nomination du recteur ou de la rectrice est encadré par un comité de consultation de 11 membres, que préside Irène Cinq-Mars, doyenne de la Faculté de l'aménagement. Dans la semaine du 16 août, ce comité a transmis la liste des personnes pressenties aux membres de l'Assemblée universitaire.
Des étapes importantes jalonnent le processus de nomination, dont la tenue d'un débat public, le 21 septembre, à l'intention de la communauté universitaire. Le mois suivant, le 4 octobre, les membres de l'Assemblée universitaire seront invités à participer à un scrutin indicatif dont les résultats seront ultérieurement rendus publics.
Au cours des deux mois qui suivront, le comité recevra les personnes et représentants d'organismes désireux de se faire entendre au sujet de cette nomination. Puis, en décembre, le comité de consultation recevra les personnes en lice, à tour de rôle.
Finalement, en janvier ou en février, le comité présentera ses recommandations au Conseil de l'Université. Ce dernier nommera ensuite le recteur ou la rectrice, en février ou en mars.
Forum ouvrira ses pages aux lecteurs de la communauté qui voudront commenter cette course au rectorat. Si l'espace venait à manquer et que des lettres ne trouvaient pas leur chemin dans le journal, nous pourrons les publier sur le site Web.
Marc Renaud
«L'Université doit devenir la première université francophone du monde»
J'ai toujours été très fier de l'Université de Montréal, y ayant étudié puis enseigné. Je le suis encore plus aujourd'hui quand je constate le formidable chemin parcouru depuis que j'ai obtenu un congé sans solde fin 1997: plus d'inscriptions, succès inégalés en recherche, davantage d'étudiants en provenance de l'extérieur du Québec, renouvellement du corps professoral, campagne de financement au-delà des attentes, sans parler des métamorphoses du campus lui-même. Bref, l'Université est relancée!
Il faut garder cet élan et aller plus loin. L'Université peut et doit devenir la meilleure université francophone du monde et non seulement du Canada. Comment y arriver?
1. Mondialiser l'Université, lui permettre des percées internationales majeures, en faire un point de référence sur tous les continents. L'UdeM est au c¦ur d'une plaque tournante, unique au monde Europe-Amérique du Nord, français-anglais et souvent espagnol , dans une ville qui a peu à envier à Boston quant à sa masse critique d'étudiants, d'intellectuels et de scientifiques, sa fascinante diversité et sa qualité de vie. Mon rêve:
- l'Université agira pour que nos meilleurs chercheurs obtiennent la reconnaissance internationale qu'ils méritent;
- elle deviendra la championne mondiale de la fluidité culturelle;
- elle offrira à ses étudiants un stage au Canada anglais ou à l'étranger pour qu'ils reviennent à l'aise dans une autre langue;
- pour les étudiants non francophones, elle leur semblera le meilleur endroit du monde où acquérir des compétences de haut niveau et apprendre le français.
2. Maintenir le cap sur l'innovation. L'équipe actuelle a pris des risques, priorisé et investi. Plusieurs choses sont en place. Pour aller plus loin, la nouvelle administration doit avoir une vision ambitieuse de l'avenir. Il y a une pente à gravir, de nouvelles frontières à atteindre. Il y aura des gens à convaincre à Québec pour régler le sous-financement et à Ottawa pour poursuivre les investissements en recherche. Nous devrons aussi mobiliser l'appui de la population.
3. Revoir certains équilibres. Les universités sont des organisations très complexes. C'est d'abord un monde de départements et de facultés, contrôlant les programmes d'études. C'est une entreprise avec des dirigeants, des employés, des syndicats et des clients. C'est une petite ville avec ses bâtiments, ses gymnases, ses bibliothèques, etc. Les universités gagnantes sont celles qui trouvent un bon équilibre entre ces éléments et développent un fort sentiment d'appartenance. L'Université a du chemin à faire à cet égard.
Il faut:
- créer un CHUM qui soit à la fine pointe mondiale de la recherche et de la formation;
- élaborer des structures novatrices de gestion participative;
- trouver le moyen de mieux réconcilier enseignement et recherche, mieux valoriser l'enseignement et améliorer l'encadrement;
- redonner du souffle aux lettres et aux sciences humaines, autrefois la gloire de l'établissement;
- trouver le moyen de faire de l'UdeM un projet mobilisateur pour les professeurs, les étudiants, les diplômés, le personnel non enseignant, mais aussi pour Montréal, le Québec, le Canada. L'Université parle français, un incroyable atout.
En raison de mes fonctions actuelles au CRSH, je ne participerai pas aux débats publics. J'espère que ce texte illustre là où je voudrais amener «notre» université.
Suzanne Fortier
«L'Université doit devenir une des 20 plus grandes universités de l'Amérique du Nord»
Riche de ses 125 années d'histoire et au lendemain d'une période d'expansion sans précédent, l'Université de Montréal s'est taillé une place de choix dans le peloton de tête des universités canadiennes. Son rayonnement, tant au sein de sa propre communauté qu'à l'échelle nationale, l'a établie sans équivoque comme chef de file dans le domaine de l'éducation supérieure. Pourtant, elle ne doit pas se satisfaire de ces gains, aussi impressionnants soient-ils. En effet, l'Université de Montréal doit affronter de nouveaux défis avec force et énergie, comme elle a su le faire dans le passé.
L'Université de Montréal, en tant que plus grande université francophone en Amérique, possède un avantage de grande valeur. Parmi les défis qu'elle doit relever, un des plus importants, à mon avis, est d'exploiter ce statut unique en se définissant un rôle distinct autant dans son propre milieu que sur la scène internationale.
Le 21e siècle est souvent décrit comme celui de la société et de l'économie du savoir. Je crois qu'il sera avant tout le siècle de la créativité, où plus que jamais la capacité d'imagination et l'agilité mentale seront sources de gains intellectuels et culturels et de progrès économiques et sociaux. En conséquence, l'Université de Montréal doit faire preuve de leadership en faisant la promotion d'une culture de l'apprentissage, en travaillant à l'augmentation du taux de participation de la population québécoise aux études universitaires, en continuant l'examen critique et le renouvellement de ses programmes d'enseignement afin qu'ils répondent encore mieux aux besoins de la société et en se fixant des objectifs de plus en plus élevés pour ses activités de recherche. Elle doit miser sur la renaissance culturelle, sociale et économique de sa métropole et en devenir un de ses plus grands atouts et moteurs.
Grande université francophone et cosmopolite où convergent les cultures de tous les continents et où, chaque jour, se conjuguent des perspectives riches par leur diversité, l'Université de Montréal est un modèle et un laboratoire pour les sociétés futures et pour le devenir d'une mondialisation réussie. Ce caractère unique constitue un tremplin exceptionnel pour s'établir comme pôle international d'enseignement et de recherche. Elle n'a qu'à se faire mieux connaître pour que les regards se tournent encore davantage vers elle.
Est-ce que l'Université de Montréal comptera un jour parmi les 20 plus grandes universités de l'Amérique du Nord, comme l'a suggéré le sociologue Alain Touraine? Non seulement je pense qu'elle en a la possibilité, mais je crois aussi que c'est l'objectif qu'elle doit se fixer. Grâce à ses investissements dans la capacité intellectuelle, l'innovation et la créativité de sa communauté et de par son engagement envers l'excellence, elle est clairement en lice. Avec le soutien de tous ceux et celles qui ont déjà bénéficié de son apport dans leur vie personnelle et professionnelle et avec l'effort concerté de sa communauté, elle est en mesure d'accélérer sa course et de s'affirmer comme établissement universitaire phare à la hauteur des enjeux et des défis du troisième millénaire.
Jacques Frémont
«Un exercice collectif de réflexion permettra de définir les priorités de l'Université»
Grâce notamment au dynamisme de la communauté universitaire et au leadership brillant du recteur Lacroix et de son équipe, notre université a su démontrer sa remarquable capacité à s'adapter aux changements et à les utiliser à son avantage. Or, les métamorphoses qui s'imposent ne sont pas terminées; l'établissement qui choisirait de ralentir son essor se condamnerait à l'obsolescence. La prochaine direction de l'Université doit continuer, avec la complicité du milieu universitaire, à travailler son positionnement stratégique, à consolider les acquis, à soutenir les forces vives du milieu et à saisir toutes les occasions de développement; ce rôle, elle devra l'exercer dans la continuité en privilégiant le thème de la qualité.
Toute grande université du 21e siècle est interpellée par les transformations, qu'elles soient articulées autour des savoirs ou des manières de les transmettre. L'éclatement des connaissances, leur caractère souvent interdisciplinaire et la venue de nouveaux joueurs dans leur développement signifient que le moment est venu d'ajuster les structures et les processus universitaires. On doit songer à des manières de faire favorisant l'interdisciplinarité, facilitant la circulation des spécialistes et assurant la rétention de l'expertise, en particulier au moment de la retraite. Sur le plan de la transmission des savoirs, la mise à niveau des infrastructures physiques (avant tout des salles de classe) s'impose, tout comme l'implantation souple des technologies de l'information pour l'enseignement, l'enrichissement de l'enseignement à distance et le soutien énergique des bibliothèques.
L'ouverture à l'international constitue un outil de développement assurant la qualité des savoirs. Le positionnement stratégique international d'un établissement de la qualité du nôtre doit s'affirmer davantage. Notre caractère francophone doit se transformer en atout, sans pour autant nier l'importance de l'anglais et des autres langues. Doivent principalement retenir notre attention les questions des étudiants étrangers, de l'ouverture de nos programmes et de leur offre à l'étranger ainsi que la participation à des regroupements internationaux d'enseignement et de recherche.
Afin d'assurer son développement futur, il convient que l'Université apporte un certain nombre de modifications à ses façons de faire. Pour ce qui est de l'enseignement, la préoccupation de la qualité doit désormais être omniprésente: qualité des corps étudiants à tous les cycles, des prestations d'enseignement et d'encadrement. Le soutien à la recherche passe entre autres par l'instauration de mécanismes administratifs mieux adaptés aux réalités de la recherche. En ce qui concerne la gestion, les relations de travail doivent retenir l'attention, surtout dans le contexte difficile des dernières années; il conviendra aussi d'accélérer le processus de rationalisation en cours, notamment en insistant sur la responsabilisation accrue des unités. Enfin, mentionnons que les succès de la campagne Un monde de projets ne doivent pas cacher les défis considérables que représente la fidélisation des diplômés et des grands donateurs.
Notre établissement, plus que jamais, doit continuer de se donner les moyens d'exercer son leadership; le dynamisme de la communauté universitaire et la qualité de sa réflexion constituent des incontournables à privilégier. La première année du nouveau rectorat doit donner lieu à un exercice collectif de
réflexion stratégique visant à préciser les priorités de développement des années subséquentes.
Mireille Mathieu
«Je privilégie le modèle de la grande université innovante»
L'Université de Montréal doit d'abord faire en sorte de maintenir les acquis de l'essor remarquable des dernières années, qui ont consolidé sa position aux premiers rangs des universités canadiennes: infrastructures de recherche; chaires de recherche, visibilité et rayonnement national et international; hausse des clientèles étudiantes; programmes d'études novateurs; important renouvellement de son corps professoral; expansion physique majeure et financement étudiant accru grâce à une campagne de financement particulièrement réussie. Conserver et affermir ces acquis et orientations représente déjà un défi de taille dans un contexte de finances publiques en décroissance.
Par ailleurs, la nature même de cette évolution récente surtout visible en recherche commande des réflexions et choix pour orienter son avenir et celui des personnes qui y travaillent. L'Université de Montréal doit d'abord revoir rapidement ses attentes et ses modes de reconnaissance des fonctions «recherche» et «enseignement». Mais il y a plus: à l'instar des grandes universités de recherche européennes (Espace européen de la recherche) et américaines (Fondation Carnegie, Innovation U.), l'Université de Montréal doit définir ses choix, attentes et priorités en ce qui a trait à la fonction «service», déjà présente mais peu reconnue, dans certaines unités (partenariats culturels, sociaux, technologiques; transfert de l'innovation sociale et technologique; service à la communauté).
Tenant compte de notre réalité, quelles sont les priorités? Comment intégrer les fonctions enseignement, recherche et service dans notre projet d'université? Quels sont les moyens physiques (infrastructures, technologies) et humains (conditions de travail, équité, perfectionnement) à maintenir, modifier ou mettre en place pour soutenir tous les membres de l'établissement dans la réalisation de ces objectifs redéfinis et partagés et sans que cet élargissement de la mission institutionnelle entraîne l'alourdissement de la charge des individus?
Un autre défi résultera de ces choix. Tout comme Harvard, Penn State, Carnegie Mellon, Wisconsin et les autres universités qui ont pris la voie de l'innovation et d'une mission élargie, il faudra revoir les critères de promotion et les mécanismes d'évaluation afin que le système de reconnaissance et de renforcement reflète clairement, équitablement et avec souplesse les mandats et priorités de l'établissement.
Je privilégie, pour l'Université de Montréal, le modèle de la grande université innovante qui excelle autant dans la production du savoir à une échelle internationale que dans les différentes formes de transmission des savoirs, d'abord à ses étudiants mais également à la société pour en améliorer ultimement tant la qualité de vie que le développement technologique et économique. Pour atteindre ces objectifs, je mise sur un fonctionnement décentralisé marqué par un grand souci de communication bidirectionnelle et de collaboration à tous les échelons de consultation et de décision à l'interne comme à l'externe.
Le développement de notre université exige des moyens considérables et une recherche constante de financement privé et public. Cette tâche incombe en grande partie à la rectrice qui atteindra d'autant mieux ses objectifs qu'elle sera l'ambassadrice d'un établissement qui aura démontré, sur les scènes nationale et internationale, son excellence du point de vue des savoirs et de leur transmission ainsi que son insertion dans la société comme moteur de changement et de progrès.