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Claude Montmarquette |
La réduction des dépenses dans le domaine de la santé depuis une vingtaine d'années, tant au Québec qu'ailleurs dans le monde, est inappropriée. Il faut plutôt faciliter la croissance inévitable et significative des dépenses dans ce secteur qui profite à l'ensemble de la société.
C'est donc un virage à 180º que Claude Montmarquette, professeur au Département de sciences économiques, propose aux gouvernements du Québec et du Canada dans une étude publiée en mai dernier par le CIRANO et cosignée par deux autres économistes, Marcelin Joanis et David Boisclair. Réagissant aux propos de l'ex-ministre français Bernard Kouchner, qui affirmait, le 14 juin dans Forum, qu'il ne fallait pas écouter les économistes de la santé, M. Montmarquette a rencontré Forum pour livrer les résultats de son étude et montrer que les économistes peuvent proposer des solutions qui permettent d'éviter la catastrophe appréhendée.
«Les dépenses en santé sont socialement rentables et il faut s'assurer que chaque dollar dépensé rapporte un maximum d'avantages à l'ensemble de la société», soutiennent les trois économistes. À leur avis, le Québec a les moyens de maintenir un système de santé efficace et équitable, mais il doit pour cela maintenir une croissance économique vigoureuse et réduire considérablement sa dette. Et pour réduire la dette, il devra continuer de diminuer les dépenses dans les autres domaines pendant encore une dizaine d'années. «Ça va faire mal!» prévient le professeur.
Réduire la dette
Selon l'étude des trois chercheurs, les dépenses publiques et privées consacrées à la santé au Québec sont les plus basses du Canada, soit un peu plus de 3000 $ par année par habitant, un écart de 319 $ par rapport à la moyenne canadienne. Si l'on compte les seules dépenses publiques, soit environ 2300 $, le Québec arrive au huitième rang sur 10, presque à égalité avec la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard.
Par ailleurs, la dette du Québec, qui équivaut à 60 % de son PIB, est l'une des plus élevées du monde. Celle du Canada, incluant le Québec, représente 43,6 % de son PIB. «Sur chaque dollar de taxe, 35 ¢ vont au paiement de l'intérêt sur la dette, affirme Claude Montmarquette. Le Québec s'endette pour payer les dépenses courantes comme les services immédiats, les salaires et les subventions. Si une entreprise privée agissait de la sorte, ses gestionnaires seraient en prison.»
Pour le professeur, il importe donc de réduire cette dette le plus tôt possible par un «remboursement modéré» afin de libérer à court terme des sommes qui pourraient être réinvesties dans la santé. Ceci permettrait de réagir efficacement au vieillissement de la population et à l'augmentation du coût de la technologie médicale. Cette mesure devrait être accompagnée d'une politique de prévention en matière de santé.
La résolution du problème du déséquilibre fiscal entre le gouvernement fédéral et les provinces est par ailleurs un élément essentiel du plan proposé par les trois économistes.
Le paiement de la dette leur parait préférable à la création d'un fonds capitalisé destiné à la santé, comme le suggèrent certains analystes. Bien qu'une telle caisse soit l'équivalent du paiement de la dette pour les payeurs de taxes, cette solution est rejetée notamment parce que ces montants sont souvent utilisés à d'autres fins. On n'a qu'à penser au «détournement» des fonds de l'assurance-emploi par le gouvernement fédéral pour éponger sa dette.
De plus, ce sont les jeunes qui porteraient le fardeau de constituer une caisse de la santé alors que l'argent servirait principalement aux personnes âgées. Selon Claude Montmarquette, on aggraverait ainsi le conflit de générations entre les jeunes et les boomers et la pression économique pourrait entraîner l'exode des jeunes. «Il aurait fallu faire cela il y a 20 ans, quand la pyramide des âges était inversée», estime-t-il.
Trop de fonctionnaires?
Mais où faudrait-il diminuer les dépenses pour réussir à rembourser la dette? «Dans les subventions aux entreprises, dans les programmes inutiles comme celui de la Société générale de financement et dans la fonction publique», répond Claude Montmarquette. À son avis, il y a 30 % d'employés de trop dans la fonction publique.
L'État prend également trop de place dans l'économie, soutient-il. «Les travailleurs paient tellement de taxes que celles-ci incitent à ne pas travailler. Il faut laisser aux entrepreneurs la chance de s'épanouir. On s'en remet par ailleurs trop à l'État pour résoudre les problèmes et ceci déresponsabilise les individus; les Québécois souffrent d'un déficit d'éducation à l'économie.»
La rigidité syndicale lui apparait aussi comme une «source d'inefficacité extraordinaire».
Faisons payer les riches!
Le secteur privé devrait être mis à contribution pour alléger le fardeau du financement public du système de santé. Le modèle proposé par les trois économistes s'inspire du modèle de l'assurance-médicaments.
Refuser la privatisation de certains services équivaut à faire l'autruche puisque 30 % des dépenses totales de santé au Canada sont déjà assumées par les consommateurs, en plus de leurs cotisations aux régimes publics. Selon diverses études, de 60 à 70 % de la population accepterait de délier les cordons de la bourse pour des services de santé. «Le gouvernement n'a donc aucune raison de ne pas emprunter cette voie, déclare le professeur. S'il ne le fait pas, c'est sans doute parce qu'il craint les groupes de pression syndicaux.»
L'imposition d'un ticket modérateur inciterait par ailleurs les gens à la prévention, ce qui réduirait la demande de soins, juge l'économiste. Pour assurer l'équité, le gouvernement pourrait créer un programme d'aide pour ceux qui n'auraient pas les moyens de supporter les coûts. Mais cela n'équivaut-il pas à la gratuité pour tous? «Non parce que le gouvernement irait chercher l'argent au bon endroit. Actuellement, ce sont les plus riches qui profitent le plus de la gratuité puisqu'ils auraient les moyens de payer une partie des coûts. Ce sont les moins riches qui paient pour eux.»
L'expression «système à deux vitesses» irrite les trois auteurs, qui y voient un débat stérile éludant les vraies questions. Il importe cependant d'éviter la «privatisation passive», qui résulterait d'un désengagement des médecins du régime de l'assurance-maladie. Pour empêcher cette saignée, la contribution des médecins au système public devrait être obligatoire et le gouvernement devrait verser les sommes nécessaires pour maintenir leur affiliation.
Finalement, l'introduction de la «carte à puce», dans laquelle le dossier médical complet d'une personne figurerait, permettrait de rationaliser la fréquentation des services et d'éviter les contrindications dans les ordonnances. «S'opposer à ce moyen est une aberration, déclare Claude Montmarquette. Si des fonctionnaires ou autres responsables commettaient des abus, on n'aurait qu'à les sanctionner.»
Selon les trois auteurs, il existe un large consensus au sein de la population pour que les gouvernements réinvestissent en santé et ils ne voient pas ce qui peut empêcher les élus d'agir.
Daniel Baril