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Jacques Bouchard |
Qui ne connait pas Alexis Zorba? Ce personnage mythique, issu du roman de Nikos Kazantzakis, alimente depuis plus de 50 ans l'image d'une Grèce idyllique dans l'imaginaire de ceux qui n'y ont séjourné que grâce à la littérature.
Même si l'image folklorique d'un Zorba en habit crétois, incarné au grand écran par Anthony Quinn, agace quelque peu les Grecs de la modernité, cette œuvre traduite dans une quarantaine de langues demeure la meilleure ambassadrice de la culture grecque moderne à l'étranger. «Zorba est crétois, grec et européen », dira de lui Mikis Theodorakis, qui a composé la musique de l'adaptation cinématographique du roman.
Jacques Bouchard, directeur du Centre interuniversitaire d'études néo-helléniques de Montréal et professeur au Département de littératures et de langues modernes, parle pour sa part de «phénomène Kazantzakis», tant l'oeuvre du romancier et poète a marqué la littérature néo-hellénique, en Grèce comme à l'étranger. Reconnu internationalement pour son expertise en littérature grecque moderne et en traduction, le professeur a été l'invité de marque du Centre national du livre de Grèce, qui tenait, le 3 août dernier à Athènes, une journée de la littérature grecque en marge des Jeux olympiques.
Prédominance du français
L'événement s'adressait aux quelque 1000 journalistes affectés à la couverture des Jeux et visait à présenter un panorama du rayonnement de la culture grecque moderne dans le monde. «Il s'agissait en quelque sorte d'une olympiade culturelle, renouant ainsi avec la tradition des jeux de l'Antiquité, qui accordaient une place à la poésie et à la culture», nous apprend Jacques Bouchard.
Pour mesurer ce rayonnement, le professeur a présenté une analyse de la traduction de la littérature néo-hellénique dans les diverses langues étrangères. Si Alexis Zorba est l'un des plus grands succès de cette littérature, il n'est pas le seul ouvrage à avoir attiré l'attention des amants de la littérature. L'ensemble des oeuvres traduites au cours des 10 dernières années totalise près de 1400 titres, répartis en pas moins de 40 langues.
C'est le français qui représente la principale langue de traduction, avec 264 titres. Suit l'anglais avec 215 titres. «L'enseignement de la culture classique a toujours alimenté une tradition philhellène en France, souligne le professeur pour expliquer cette prédominance du français. De plus, les poètes grecs ont toujours été attirés par le mirage de la Ville lumière et ont cherché à être reconnus en France. Le français est également une langue recherchée parmi les intellectuels et la Grèce va bientôt joindre les rangs de la Francophonie.»
Le traducteur y voit aussi l'une des retombées de l'école de traduction de l'Institut français à Athènes, qui n'a pas d'équivalent anglais. Les éditeurs francophones se montrent par ailleurs plus avant-gardistes en accordant une place aux auteurs de la relève alors que les anglophones se font plus conservateurs.
Fait étonnant, c'est l'allemand qui occupe le troisième rang avec 179 titres; il devance l'espagnol et l'italien, pourtant plus proches du grec, qui comptent respectivement 132 et 90 titres.
Les cinq gloires
Outre Nikos Kazantzakis, l'auteur le plus traduit et le plus connu à l'échelle internationale est le poète Constantin Cavafy, qui a connu une grande célébrité posthume et qui a été notamment traduit par Marguerite Yourcenar. Suivent les deux Prix Nobel de littérature Georges Séféris (1963) et Odysseus Elytis (1976). Finalement, Yannis Ritsos, lauréat du prix Lénine 1977, complète le panthéon des plus illustres auteurs.
«Ces cinq auteurs, traduits dans presque toutes les langues, représentent les "gloires nationales'' de la littérature néo-hellénique et ont servi de "marque déposée'' à la Grèce sur la scène internationale», estime Jacques Bouchard.
La présence d'un Prix Lénine parmi eux montre que les auteurs grecs ont également rayonné dans l'ex-URSS. Plusieurs auteurs politiques y ont en effet trouvé asile pour échapper à la répression du «régime des colonels» entre 1967 et 1974.
Activités de recherche
Le spécialiste de la littérature néo-hellénique a toujours été un véritable passionné de la Grèce, pays où il se rend d'ailleurs plusieurs fois par année! Dans ses recherches, il s'intéresse plus particulièrement à l'époque des Lumières en Grèce, aux relations culturelles helléno-roumaines au 18e siècle et à l'oeuvre du poète surréaliste grec Andréas Embiricos. Parmi ses traductions, on remarque celle d'une pièce en un acte d'Irène Papas, Theodora.
Professeur à l'Université de Montréal depuis 1973, Jacques Bouchard a obtenu son doctorat à l'Université de Thessalonique, où il a été le premier étranger à produire et à soutenir une thèse en grec.
Le Centre interuniversitaire d'études néo-helléniques ( www.neoellinika.umontreal.ca ), qu'il dirige, regroupe des enseignants et des chercheurs des universités McGill, Concordia et de Montréal. Le mandat est de coordonner les activités d'enseignement et de recherche en langue, littérature et histoire grecques modernes et d'assurer des liens avec les membres de la communauté grecque.
Le professeur Bouchard est également titulaire de la chaire Phrixos B. Papachristidis d'études néo-helléniques et helléno-canadiennes de l'Université McGill.
Daniel Baril