Le 9 août dernier, Santé Canada publiait un avis sur les risques liés à la prise d'antidépresseurs pendant le troisième trimestre de la grossesse. Les Prozac, Paxil, Zoloft, Effexor, Celexa et autres psychotropes de la famille des inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine étaient visés. «Des rapports internationaux et canadiens révèlent que certains nouveau-nés dont la mère avait pris un de ces médicaments durant sa grossesse ont éprouvé des complications à la naissance nécessitant une hospitalisation prolongée, une aide à la respiration et une alimentation par sonde», pouvait-on lire.
«Santé Canada exagère un peu», nuance Anick Bérard, épidémiologiste à l'hôpital Sainte-Justine et titulaire de la chaire Médicament, grossesse et allaitement de l'UdeM. «Nous ignorons les détails de ces rapports, mentionne-t-elle. Combien de sujets ont été étudiés? Combien de temps ces effets ont-ils été observés? Quelle était leur gravité? Je ne doute pas de l'authenticité de ces études, mais je maintiens que les avantages liés à la prise d'antidépresseurs sont plus grands que les inconvénients.»
L'avis de Santé Canada mentionne que les cliniciens détiennent encore très peu de données sur le traitement de la dépression au cours de la grossesse. Et le ministère y va d'une mise en garde: «Il est très important pour la patiente de NE PAS interrompre son traitement avant de consulter son médecin», peut-on lire textuellement.
À l'hôpital Sainte-Justine, une ligne Info-médicaments en allaitement et grossesse a été mise sur pied pour renseigner le personnel de la santé sur les contre-indications pharmaceutiques. Les pharmaciennes qui y travaillent à temps plein reçoivent 8000 appels par année. Une bonne partie des questions porte sur l'usage des antidépresseurs durant la grossesse. «Après les médicaments contre l'asthme, les antidépresseurs sont les médicaments les plus souvent consommés par les femmes enceintes, explique Mme Bérard. Une femme sur 10 y recourt.»
L'équipe de la professeure Bérard travaille actuellement à recueillir, auprès de 7000 femmes enceintes, de l'information sur les effets de la consommation de médicaments. Elle espère présenter ses résultats d'ici un an. Toutefois, elle a déjà observé que la suspension d'un traitement pharmacologique pouvait mener à l'avortement, la dépression majeure, la toxicomanie et même le suicide dans les cas extrêmes.
Quant aux bébés nés de femmes ayant consommé des antidépresseurs, les principaux effets qu'on a remarqués en néonatologie seraient transitoires, note Mme Bérard. Une autre étude menée auprès de 300 bébés, dont la moitié a été exposée aux antidépresseurs, devrait jeter une lumière nouvelle sur ce débat.
Alors, les femmes enceintes doivent-elles renoncer aux antidépresseurs? «Chose certaine, il ne faut pas qu'elles stoppent leur traitement sans en parler au professionnel de la santé qui s'occupe de leur dossier, répond Mme Bérard. On s'entend là-dessus.»
Mathieu-Robert Sauvé