|
Christine Rosa |
La conscience de soi est l'une des habiletés qui caractérise sans doute le plus l'être humain, bien qu'il la partage avec d'autres primates comme le chimpanzé. Le développement de cette conscience nécessite des capacités intellectuelles très avancées qu'on ne fait que commencer à étudier.
«Une façon d'évaluer la présence d'un concept de soi et d'une conscience de soi est d'examiner la capacité à se reconnaitre soi-même», indique Christine Rosa, étudiante au doctorat au Département de psychologie. On connait tous ces expériences menées avec de grands singes et qui montrent qu'ils sont capables de se reconnaitre dans un miroir.
Depuis ces expériences, les récents travaux en neuropsychologie ont suggéré que la conscience de soi met en cause des zones précises de notre cerveau, différentes des autres fonctions de reconnaissance. Des études recourant tant à l'électrophysiologie, à l'imagerie cérébrale et à la stimulation magnétique qu'à des tâches manuelles et portant sur la reconnaissance de son propre visage, l'audition de son nom ou le rappel d'évènements autobiographiques ont montré que le traitement de ces informations diffère des données de même nature lorsqu'elles concernent d'autres personnes.
«La reconnaissance des visages et des noms s'effectue principalement dans l'hémisphère droit, mais l'ensemble des recherches révèle que la latéralisation est plus marquée lorsqu'il s'agit de reconnaitre son propre visage et son propre nom», précise Christine Rosa.
|
«Une façon d'évaluer la présence d'un concept de soi et d'une conscience de soi est d'examiner la capacité à se reconnaitre soi-même.» |
Entendre sa voix
La chercheuse a voulu reproduire ces expériences en faisant appel cette fois à la reconnaissance de sa propre voix, ce qui n'avait jamais été tenté jusqu'ici. La voix est un élément riche d'informations puisque à elle seule elle permet de se faire une bonne idée du sexe, de l'âge, de l'état émotif, de l'origine ethnique et géographique, voire de la classe sociale du locuteur. «Un parallèle peut donc être établi entre le traitement des voix et celui des visages et mon hypothèse était que cette reconnaissance devait elle aussi révéler une latéralisation plus prononcée à droite dans le cas de sa propre voix.»
Cette expérience comportait une difficulté particulière puisque nous sommes peu habitués à entendre notre voix telle que les autres l'entendent; elle nous parvient en effet modifiée par la résonance de notre boite crânienne.
Pour son expérience, Christine Rosa a procédé à l'aide d'une tâche motrice: les participants, tous droitiers, devaient indiquer si les mots entendus provenaient de l'enregistrement de leur voix, d'une voix familière ou d'une voix célèbre en appuyant sur une touche appropriée. La tâche a été répétée pour chacune des deux mains. Si la reconnaissance de sa propre voix est davantage traitée par l'hémisphère droit, cela devrait s'observer par une vitesse de réaction différente selon la main utilisée.
L'expérience a en fait établi que la vitesse de réaction de la main gauche est plus grande lorsque les participants reconnaissent leur voix. La différence n'est que de 40 à 50 millisecondes, mais la vitesse de la main gauche égale alors celle de la main droite, qui est normalement supérieure chez les droitiers. Cette vitesse accrue de la main gauche ne s'observait pas lorsqu'il s'agissait des autres voix. Étant donné l'inversion à l'¦uvre dans la latéralisation cérébrale, le résultat obtenu signifie que l'hémisphère droit (commandant la main gauche) est effectivement davantage activé lorsque nous entendons notre propre voix.
Ces travaux constituent donc une autre pièce ajoutée aux données indiquant que le siège de la conscience de soi loge dans l'hémisphère droit. «Ce serait plus précisément dans le lobe frontal droit, indique Christine Rosa. C'est là que résident les fonctions cognitives les plus évoluées, comme la planification de l'action et le raisonnement.»
Coopération plutôt que dominance
Si les habiletés cognitives de la conscience de soi sont spécifiques, cela veut-il dire que cette conscience est différente de la conscience tout court? Ici la chercheuse fait preuve de prudence. «Il n'y a pas de consensus sur les questions théoriques, répond-elle. Certains soutiennent qu'il s'agit de deux choses différentes et d'autres défendent l'idée que la conscience de soi est une partie de la conscience tout court. Mais rien n'est prouvé.»
Par ailleurs, ces nouvelles données sur la latéralisation assènent un autre coup au concept de la dominance hémisphérique. «C'est une notion archaïque, affirme Pascal Belin, codirecteur de la thèse de Christine Rosa avec Maryse Lassonde. La notion de dominance était fondée sur le fait que certaines fonctions motrices et langagières relèvent davantage de l'hémisphère gauche chez les droitiers, mais cela ne veut pas dire que cet hémisphère est dominant. Ce qu'on observe, c'est une coopération hémisphérique plutôt qu'une dominance de l'un ou de l'autre.»
Daniel Baril