Édition du 13 septembre 2004 / volume 39, numéro 3
 
  La visière au hockey n'a aucun impact sur la vision
Le refus de porter la visière, généralisé dans la Ligue nationale de hockey, apparaît injustifié à la lumière d'une étude sur les protecteurs oculaires les plus répandus

Sophie Pilon (à gauche) ne pardonne pas aux joueurs de hockey de refuser la visière. Sheila Laplante (à droite).

L'as marqueur et capitaine des Red Wings de Detroit, Steve Yzerman, a subi une égratignure de la cornée et une fracture de l'orbite de l'oeil gauche lorsqu'il a été atteint par la rondelle le 1er mai dernier. Sa vision était encore embrouillée après l'intervention chirurgicale de quatre heures qui a immédiatement suivi le match. Quelques mois plus tôt, en janvier, c'est Owen Nolan, des Maple Leafs de Toronto, qui a failli perdre l'usage d'un oeil quand il a reçu un coup de bâton du défenseur Jay McKee. Pourtant, cet incident n'a pas suffi à le convaincre de mieux se protéger le visage à son retour au jeu.

Le refus de porter la visière, généralisé dans la Ligue nationale de hockey (LNH), apparaît totalement irresponsable aux yeux de deux jeunes optométristes, Sheila Laplante et Sophie Pilon. Au terme d'une étude sur les protecteurs oculaires les plus répandus chez les pros, elles sont catégoriques: «Il n'y a pas de différence statistiquement significative pour l'acuité visuelle, la vision des couleurs et la sensibilité au contraste avec ou sans protection oculaire», écrivent-elles dans leur rapport de recherche qui pourrait faire bientôt l'objet d'une publication scientifique.

Selon les dernières données sur la question, le port de la visière est presque marginal puisque seulement 132 des 700 joueurs de la LNH portent cet accessoire. La principale raison invoquée par ceux qui ne la portent pas: la diminution de la qualité visuelle. Pour Eric Lindros, un joueur des Flyers de Philadelphie victime lui aussi d'une blessure à l'oeil, porter la visière équivaut à «rouler sous la pluie sans essuie-glaces». «Nous avons voulu savoir s'ils avaient raison de se plaindre de ce facteur, explique Sheila Laplante. Nos conclusions sont très claires: ils ont tort.»

Les protecteurs qu'elles ont étudiés (les demi-visières Itech et Oklay, actuellement les plus populaires dans la Ligue) «n'influencent pas significativement la perception visuelle, disent-elles encore dans leur rapport. Il reste à établir quels sont les autres facteurs qui peuvent entraîner l'abandon du port de la visière et quel est leur véritable impact sur les performances et le confort visuel du hockeyeur.»

Les vrais hommes jouent sans visière

On se souvient qu'une controverse a éclaté l'hiver dernier quand un commentateur sportif du réseau anglais de la télévision publique, Don Cherry, a raillé les joueurs originaires du Québec et d'Europe pour leur inclination à porter la visière. Le 24 janvier, il déclarait à Hockey Night in Canada (CBC) que ceux-ci étaient des «peureux».

Selon l'étude menée à l'École d'optométrie, les joueurs qui se munissent de protecteurs faciaux devraient au contraire être encouragés, compte tenu de l'importance des blessures sportives. «Des statistiques recueillies par le Conseil canadien de la sécurité rapportent que, au cours des 25 dernières années, 34 % de toutes les lésions oculaires sont attribuables à des accidents chez les hockeyeurs, occupant ainsi le premier rang de tous les facteurs causals de blessures oculaires. Toutes ces blessures sont survenues chez des joueurs ne portant pas de visière.»

Depuis 1972, plus de 298 joueurs ont perdu l'usage d'un oeil, rapportent les chercheuses. Aucun de ces derniers ne portait de visière approuvée par les autorités responsables (la Canadian Standard Association).
Sans être limité aux joueurs professionnels, ce problème concerne moins les ligues mineures et les ligues amicales, car la réglementation a été sévèrement resserrée dans les arénas et centres sportifs. Très souvent, les arbitres refusent de mettre la rondelle en jeu si un seul joueur ne se présente pas avec une protection faciale complète.

Une étude solide

Pour Benoit Frenette, professeur à l'École d'optométrie et tuteur des deux étudiantes, cette recherche originale a été menée avec beaucoup de rigueur. «Elles sont venues me voir pour me demander de les appuyer dans leur travail et je leur ai conseillé quelques tests. Mais ce sont elles qui ont fait toute l'expérimentation», commente ce spécialiste des lentilles et de la protection oculaire.

Étendue sur une période d'un an, la recherche a consisté en une batterie de tests en laboratoire. Un groupe de 18 sujets (10 hommes et 8 femmes), dont plusieurs joueurs de hockey non professionnels, ont participé à l'étude. Chez tous les sujets, l'acuité visuelle, la sensibilité au contraste, la vision des couleurs et le champ visuel ont été évalués. Dans chaque cas, on a fait le test avec et sans visière.

Aucun des tests psychométriques n'a révélé de différence significative. Seule une réduction du champ visuel dans les méridiens supérieurs a été enregistrée au moyen d'un appareil nommé le périmètre Goldman. «Cette différence est due au port du casque lui-même, précise Sophie Pilon. Cela signifie que le seul fait de porter un casque vous fait perdre quelques degrés du champ visuel supérieur.»

Au terme de leur recherche, les étudiantes affirment mal s'expliquer le refus des joueurs de la LNH de porter la visière, d'autant plus que la quasi-totalité d'entre eux ont joué avec des protecteurs avant d'entrer chez les professionnels. «Un aspect non négligeable attaché au port de la demi-visière est l'image que celle-ci projette. C'est-à-dire que les joueurs, surtout les défenseurs, craignent de perdre leur crédibilité et leur statut de durs à cuire s'ils adoptent le port d'un protecteur facial.»

C'est là un domaine qui échappe à l'étude des optométristes, mais, à leur avis, cette attitude ne fait pas le poids face au risque de perdre l'usage d'un oeil.

Sheila Laplante et Sophie Pilon ont beaucoup apprécié leur expérience en recherche dans le cadre de leur doctorat en optométrie. Mais elles ont toutes deux décidé d'aller sur le marché du travail. Pas de maîtrise ou de doctorat pour elles en vue. Sheila a trouvé un emploi à Gatineau, où elle a déménagé cet été, et Sophie retournera dans sa région d'origine, l'Abitibi. Comme en témoigne le haut taux de placement des diplômés en optométrie, elles n'ont eu aucun mal à trouver du travail, l'une chez Miosis, l'autre chez Iris.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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