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Le ciel du Québec est l'un des plus lumineusement pollués du monde: la ville de Québec éclaire autant que Boston et Montréal est aussi lumineuse que New York. |
On aimerait qu'il soit toujours bleu, mais certains le préfèrent noir. Ces oiseaux de nuit que sont les astronomes ont même lancé une opération de protection du ciel noir pour que l'observation de la beauté des étoiles continue de faire partie des plaisirs de la vie.
L'intention n'est évidemment pas que poétique. Depuis 20 ans, la pollution lumineuse nocturne a doublé autour de l'Observatoire du Mont-Mégantic (OMM). Si rien n'est fait pour la stopper, le site pourrait perdre sa valeur scientifique pour l'observation astronomique d'ici 10 ans.
«Le mont Mégantic a été choisi comme emplacement de l'Observatoire parce qu'il présentait l'un des ciels les plus noirs du Québec, souligne Pierre Bastien, directeur de l'OMM et professeur au Département de physique. Mais depuis son ouverture, en 1978, l'éclairage artificiel a doublé dans les alentours. Cette lumière, même faible, est réfléchie par les particules en suspension dans l'air et diminue le contraste des objets que nous observons. En hiver, c'est encore pire parce que la neige au sol réfléchit la lumière.»
Cette pollution a un impact sur les travaux à la fois en lumière visible et en spectroscopie puisque les appareils de spectroscopie captent le signal des éclairages au mercure. Dans les deux cas, les chercheurs doivent corriger les résultats ou filtrer la lumière parasite, mais ces opérations ne restituent pas le contraste d'un ciel noir. À moyen terme, les astrophysiciens pourraient devoir cesser l'observation d'objets de très faible luminosité ou effectuer leurs recherches ailleurs.
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Pierre Bastien montre la zone de ciel noir devant s'étendre sur une centaine de kilomètres autour de l'OMM. |
Un parc de ciel étoilé
Pierre Bastien a sonné l'alarme en 1997, au moment où d'importants travaux de rénovation et de modernisation de l'Observatoire étaient entrepris. Des partenaires de l'OMM ont alors signalé leur crainte de voir le site perdre de sa valeur. À l'instar des autres lieux d'observation astronomique qui connaissent le même problème ailleurs dans le monde, un regroupement composé de chercheurs et d'amateurs, auquel s'est joint le parc national du Mont-Mégantic et l'AstroLab, a entrepris de sensibiliser le public et les entreprises au problème de la pollution lumineuse.
Les municipalités avoisinantes, incluant la ville de Sherbrooke, située à plus de 100 km à vol d'oiseau, se sont montrées très réceptives à la question puisque la présence de l'OMM entraine des développements récréotouristiques majeurs dans la région. Chaque année, plus de 20 000 personnes visitent les installations éducatives et récréatives du parc, comme l'AstroLab et son télescope de 60 cm, sans oublier les sentiers de randonnée dans la montagne et la visite diurne de l'Observatoire.
Le but de l'opération de sensibilisation est d'obtenir une réduction de 50 % de la pollution lumineuse d'ici 2006. «Nous voulons créer une ³réserve de ciel noir² comme il en existe une à Tucson, en Arizona», indique le directeur de l'OMM. Cette ville de 600 000 habitants a été la première à réglementer l'éclairage nocturne, ce qui fait qu'on peut aujourd'hui apercevoir la Voie lactée en plein centre-ville. Par souci d'économie d'énergie, des initiatives semblables ont été prises notamment en Australie, au Chili et à Hawaii.
Selon Pierre Bastien, les municipalités ont le pouvoir juridique nécessaire pour réglementer l'éclairage. La région du mont Mégantic pourrait donc devenir la première zone protégée de ciel étoilé du Canada; on pourrait s'y rendre pour observer la Voie lactée comme on se rend au parc marin du SaguenaySaint-Laurent pour voir des bélugas. La chose n'est pas farfelue puisque de nombreux citadins n'ont jamais vu de ciel étoilé et que l'UNESCO a reconnu, en 1992, le ciel étoilé comme patrimoine mondial à protéger!
Réduire l'éclairage inutile
L'objectif de l'opération «ciel noir» paraît réaliste aux yeux de Pierre Bastien, car une bonne partie de l'éclairage nocturne est totalement inutile et entraine donc un gaspillage d'énergie et d'argent. Il suffirait de bannir les lampes au mercure et d'installer des lampadaires qui projettent leur lumière vers le sol plutôt que dans toutes les directions.
Un luminaire en forme de boule, par exemple, diffuse 30 % de sa lumière vers le ciel, en pure perte. Avec un simple abat-jour, cette lumière serait renvoyée vers le sol, ce qui permettrait de réduire la puissance de l'ampoule et la consommation d'électricité.
En remplaçant 3585 lampadaires au mercure par des luminaires au sodium dirigés vers le sol, la ville de LaSalle aurait réussi à amortir le coût de l'opération uniquement par la réduction de ses frais d'électricité sur cinq ans. Des pourparlers ont été engagés avec Hydro-Québec pour faire de même dans un cercle de 25 km autour de l'OMM. À l'Observatoire de Victoria, en Colombie-Britannique, on suit de près ces démarches entamées à l'OMM afin de mettre en ¦uvre un projet semblable.
Comme autre moyen d'intervention, Pierre Bastien se questionne sur la pertinence d'éclairer des terrains de stationnement en pleine nuit. Les panneaux-réclames en bordure des routes réfléchissent quant à eux toute leur lumière vers le ciel lorsque l'éclairage est dirigé de bas en haut, alors qu'il suffirait d'installer les lumières dans le haut du panneau. L'astronome voudrait aussi voir bannies les «sentinelles de ferme», ces éclairages violents qui illuminent tous les bâtiments et dont 80 % de la lumière est perdue. Il ne s'agit pas de plonger la région dans le noir, mais d'inciter les gens à faire les choses autrement.
D'autres raisons écologiques militent en faveur de la réduction de la pollution lumineuse puisque certains animaux nocturnes seraient perturbés par l'éclairage de nuit et que certains végétaux seraient devenus moins résistants aux insectes.
L'un des plus pollués du monde!
Dans l'atlas mondial des cartes de la pollution lumineuse, on découvre que le ciel québécois est l'un des plus lumineusement pollués du monde! Avec ses 300 000 habitants, la ville de Québec apparait aussi lumineuse que Boston, qui en compte cinq millions. Et Montréal est aussi lumineuse que New York! Selon les promoteurs de l'opération «ciel noir», il s'ensuit des pertes annuelles de 45 M$.
Sur cette carte, le mont Mégantic figure encore au centre d'un îlot de ciel noir. Mais pour combien de temps?
Daniel Baril