|
Olivier Asselin partage son temps entre la création et la réflexion sur l'art.
|
Dans
Le siège de l'âme, du cinéaste Olivier Asselin, professeur au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques, un liquide visqueux et collant, le «bitume de Judée», permet aux protagonistes de changer de personnalité lorsqu'ils s'en enduisent.
Idée bizarre, se dit le spectateur. Jusqu'à ce qu'il navigue dans Internet pour découvrir qu'en 1824 Nicéphore Niepce a installé une plaque recouverte de cette résine au fond d'une chambre obscure pour obtenir la première image artificielle de l'histoire. La photographie était inventée. On connaît la suite: au tournant du siècle, les images s'animent grâce aux frères Lumière. Puis entrent en scène Thomas Edison, Charlie Chaplin, Hollywood, Walt Disney et... Elvis Gratton.
Rétroactivement, le bitume de Judée apparaît comme l'élément qui donne vie à l'âme. Sans cette résine magique, pas de photo, pas de cinéma, et l'artiste doit s'en remettre à la peinture et à la littérature pour faire rêver les masses. Il y a du burlesque, de la poésie et de la science dans les films d'Olivier Asselin, ce surdoué du septième art qui était révélé en 1991 par son premier long métrage. «Un souffle de génie», titrait la critique de cinéma du Devoir, Odile Tremblay.
«Arrivé comme un ovni dans notre paysage cinématographique, écrit Georges Privet dans la revue Voir le 21 août 1997 [Olivier Asselin fait rien de moins que la grande photo de couverture], La liberté d'une statue révélait l'existence d'un créateur inconnu. Venu apparemment de nulle part, ce jeune professeur d'histoire de l'art avait tourné avec des amis, pour trois fois rien, et dans un amateurisme presque total, une oeuvre unique et audacieuse qui donnait l'impression de réinventer le cinéma: un faux film du début du siècle (supposément trouvé en Égypte!), dont les images, l'esprit et l'histoire évoquaient la magie des Lumière, Méliès et Feuillade. Bref, une première oeuvre remarquable et remarquée, qui obtint plusieurs prix et un réel succès d'estime.»
|
Ce premier long métrage a propulsé Olivier Asselin parmi les réalisateurs du cinéma d'auteur les plus prometteurs. |
Média intellectuel?
«Le cinéma peut être un média intellectuel», argumente Olivier Asselin, membre actif du Centre de recherche sur l'intermédialité et jeune recrue de la Faculté des arts et des sciences (il a quitté l'Université Concordia pour l'UdeM l'an dernier). Pour cet érudit formé à Montréal, Ottawa et Paris, le discours sur l'art est au moins aussi important que l'oeuvre elle-même. Depuis ses études de doctorat, consacrées au peintre Marcel Duchamp, il a publié des articles sur la photographie, le dadaïsme, Alfred Hitchcock, le théâtre, l'autofiction et près de 20 autres sujets aussi éclectiques. Sa production savante continue d'être prolifique, mais c'est à titre de cinéaste qu'il a pris tout le monde par surprise il y a 13 ans. Il ne cache pas, d'ailleurs, sa fierté d'avoir fait un pied de nez aux quémandeurs de millions qui fourmillent dans l'industrie cinématographique.
«La liberté d'une statue m'a coûté environ 1000 $. Des amis m'ont prêté des caméras, j'ai eu accès aux salles de montage de l'Office national du film et j'ai eu recours à des stratégies m'évitant les coûts de la postproduction», explique-t-il. Et en baissant la voix, il avoue que son deuxième long métrage, nettement plus «commercial», a résulté d'une somme de compromis.
«Quand on gère de gros budgets, on doit faire lire son scénario à 25 personnes, qui ont chacune un commentaire. Il faut s'adapter, négocier, discuter...»
Même si Le siège de l'âme, qui met en vedette Emmanuel Bilodeau, Pierre Lebeau, Rémy Girard, Luc Durand et Benoit Brière, a connu un bon succès critique («Ce film ressemble à un tableau de Magritte animé par la baguette magique d'un Alfred Jarry», a écrit par exemple un journaliste du Soleil), on sent que son auteur a trouvé l'expérience difficile. Cela ne l'a pas empêché de se lancer dans de nouveaux projets.
Avec l'homme de théâtre Denis Marleau, il a filmé une adaptation d'une oeuvre de Thomas Bernard, Les maîtres anciens. Il travaille actuellement à un film intitulé Les derniers jours de Paris. Différent de ses films précédents, celui-ci est le journal vidéo d'un écrivain imaginaire qui suit une apparition de New York à Paris en passant par Pompéi. En apparence, le film appartient au genre de l'autoportrait vidéo, mais, en fait, il revisite la structure du film noir, où se rencontrent l'enquête criminelle et la psychanalyse.
|
Le siège de l'âme raconte la quête spirituelle d'un jeune homme qui découvre une momie dont le coeur bat encore... |
Le retour du cinéma léger
Dans La liberté d'une statue, les narrateurs sont de faux projectionnistes qui annoncent aux spectateurs qu'ils vont leur présenter un film datant des débuts du cinéma. Pour Olivier Asselin, ce scénario habile permettait de donner un ton documentaire à la fiction... et de ne pas avoir à assumer de frais de postproduction.
«La contrainte matérielle force le créateur à faire preuve de la plus grande imagination possible, affirme-t-il. Lorsqu'on a un budget de misère, on doit contrebalancer avec des trouvailles originales.»
Les étudiants inscrits au Programme d'études cinématographiques sont d'excellents exemples de ce principe tout simple. «Je suis toujours impressionné de voir les films qu'ils arrivent à produire avec trois fois rien», dit-il.
Le développement des nouvelles technologies numériques pourrait servir la cause du cinéma. «Avec la sortie de caméras de plus en plus abordables, on peut désormais tourner des films d'une qualité professionnelle. On peut logiquement penser faire un film avec une équipe de quatre personnes: le réalisateur, le preneur de son, le caméraman et le régisseur.»
Olivier Asselin espère assister à la convergence du cinéma et des autres arts. «Pourquoi les artistes contemporains ne se servent-ils pas davantage de l'immense potentiel du cinéma? Certains l'ont compris. On peut penser aux films tournés par Luis Buñuel et Salvador Dali.»
Le professeur Asselin est d'avis que la révolution numérique peut avoir autant d'impacts sur les pratiques sociales que la révolution industrielle. Il a bien l'intention de sauter dans le train.
Mathieu-Robert Sauvé
Webcams et canulars artistiques |
Dans une conférence prononcée récemment, Olivier Asselin a exploré le sens qu'on peut attribuer aux webcams, ces caméras que les gens installent dans leur résidence pour donner leur médiocrité en spectacle. «Quel trauma cherche-t-on à rejouer et à conjurer ainsi? Quel est l'obscur objet du désir et de la crainte? La scène originale, la séparation, la castration? Il reste ici innommable et infigurable. Le site entretient ainsi un voyeurisme à l'état pur, un regard sans objet.»
Plus qu'une extension de la société du spectacle, la caméra qui tourne en permanence dans son intimité révèle une étrange préoccupation psychanalytique. «L'important n'est pas tant que le sujet soit vu, mais qu'il soit visible en tout temps et surtout qu'il se sache visible, affirme M. Asselin. Le «webcamé» anticipe donc constamment le regard de l'autre ou du père, poursuit-il. Il n'est pas étonnant que sa vie soit si normale.»
Cette réflexion s'inscrit dans deux projets de recherche sur les «pratiques de la manipulation identitaire dans l'art contemporain», dirigé par Christine Ross, et sur les «fictions du sujet», dirigé par Johanne Lamoureux.
Olivier Asselin s'intéresse aussi aux représentations fictionnelles de l'histoire dans l'art moderne et contemporain, en particulier à quelques canulars élaborés par certains artistes pour tromper les historiens. |