|
Certains quartiers abritent plusieurs commerces de prêt sur gage. |
Au moment de l'éclosion des commerces de prêt sur gage, dans les années 90, un rapport du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) laissait entendre que 70 % des produits mis en vente dans ces établissements étaient des objets volés dans le voisinage. Les policiers soutenaient même que ces commerces constituaient un vecteur de criminalité en augmentant la demande pour les biens volés ou du moins en facilitant leur écoulement sur le marché.
«Ceci n'était fondé sur rien du tout», affirme sans hésitation Pierre Tremblay, professeur à l'École de criminologie. Dans un stage de maitrise au SPVM, une de ses étudiantes, Véronique Linteau, a effectué une recherche sur le sujet dont les résultats sont publiés dans le dernier numéro de la revue Criminologie. Ses conclusions infirment l'hypothèse du Service de police. «On ne peut soutenir qu'il y a un lien de cause à effet entre les prêteurs sur gage et la criminalité à l'endroit des biens dans un quartier», conclut la chercheuse.
Quartiers défavorisés
Les quartiers où l'on trouve le plus grand nombre de ces commerces sont Hochelaga-Maisonneuve (16), La Petite-Patrie (15) et Ville-MarieCentre-Sud (13).
Au premier abord, les données recueillies par Véronique Linteau tendent à soutenir l'hypothèse des policiers. Il existe en effet une corrélation positive très significative entre la présence de prêteurs sur gage dans un quartier et le taux d'introduction par effraction dans les résidences privées de même que le nombre général de vols rapportés dans ce même quartier.
Toutefois, les statistiques montrent également une corrélation positive encore plus forte entre la présence de ces établissements et le nombre de voies de fait dans un quartier, alors qu'il n'y a manifestement aucun lien causal entre les deux.
Selon la criminologue, l'explication réside dans le fait que les prêteurs sur gage s'installent dans les secteurs occupés par leur clientèle potentielle, c'est-à-dire les quartiers défavorisés où, en l'occurrence, le taux de criminalité générale est plus élevé.
Cela ne veut pas dire qu'aucun objet volé ne se retrouve dans la boutique d'un prêteur. La chercheuse a d'ailleurs pu rétablir la provenance de 201 biens volés récupérés par les policiers chez les prêteurs sur gage. Dans 57 cas, l'individu qui a effectué la transaction était soupçonné d'avoir lui-même commis le vol. Mais seuls 8 cas (18 %) répondant aux caractéristiques du «triangle de quartier» voleur, victime et commerce situés dans le même quartier ont été mis au jour.
Comme la distance moyenne entre le commerce et le lieu du vol est de près de trois kilomètres, la chercheuse en conclut que les délinquants contre la propriété sont mobiles et qu'ils n'écoulent pas leur marchandise dans leur quartier.
De plus, le temps moyen pendant lequel un bien volé a été la «propriété» de celui qui a effectué la transaction avec un prêteur sur gage est de près de six mois. «Il est peu probable que le voleur ait été en possession dubien pendant une période aussi longue», estime la criminologue. Les biens volés ont donc vraisemblablement été laissés en gage par des gens qui les ont acquis de «bonne foi» dans leur entourage.
Un autre élément tend à infirmer l'hypothèse de départ. Alors que le nombre de commerces de prêt sur gage est passé de 10 à 110 entre 1992 et 1998, le nombre de vols dans les commerces, les résidences et les voitures a diminué au cours de la même période. Cette corrélation négative est observée pour tous les types d'objets, que ce soit les bijoux, les outils, les chaînes stéréo ou les bicyclettes. L'éclosion des commerces de prêt sur gage n'a pas entrainé un surcroit de vols.
Marchés aux puces et usuriers
Selon Pierre Tremblay, le rapport du SPVM confondait tous les types de commerces d'occasion. À son avis, les marchés aux puces et les bazars offrent de bien meilleurs débouchés aux recéleurs que les prêteurs sur gage.
«Pourquoi un prêteur sur gage, qui a pignon sur rue et dont le commerce est enregistré, mettrait-il son entreprise en péril en misant sur des biens volés alors que tout recéleur peut écouler sa marchandise dans un marché aux puces sans avoir aucun compte à rendre à personne?» demande-t-il.
La mauvaise perception que le public a des prêteurs sur gage serait fondée selon lui sur le mythe qui en fait des usuriers.
«Cette perception est uniquement due au fait que les biens prêtés sont visibles et que ces commerces attirent les plus démunis. Mais ces prêteurs ne sont pas plus Shylock que n'importe quelle société de financement.»
Quant à la diminution des crimes contre la propriété, le professeur l'attribue tout simplement à un déplacement de la criminalité. «Les voleurs délaissent les objets usagés, qui ne leur rapportent que 25 % de leur évaluation "à l'oeil". Ils se tournent vers le vol de cartes de crédit ou de produits neufs, qui peuvent être vendus encore dans leurs emballages.»
Daniel Baril