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Kathy Borden |
Au début des années 90, les médecins occidentaux ont commencé à s'intéresser à une clinique de Shanghai où des praticiens de la médecine chinoise traditionnelle traitaient leurs patients leucémiques avec de fortes doses de vitamine A. Plusieurs de ces patients se retrouvaient en rémission. Comment, pourquoi? La biochimiste Kathy Borden a élucidé le mystère. Trouver des réponses à des questions épineuses en observant des objets aux proportions infinitésimales, c'est sa spécialité.
Kathy Borden, l'une des dernières et des plus éminentes recrues que l'UdeM a embauchées dans le cadre de son initiative pour regrouper sous un même toit la recherche sur les virus, le cancer et les vaccins, pointe sur l'écran de son ordinateur le rectangle coloré d'une protéine qu'on dit fusionnée. En fusionnant, deux gènes sont devenus, par un processus bien connu, un de ces disgracieux gènes hybrides qui peuvent mener au cancer. Dans le cas du type de leucémie dont souffraient les patients de Shanghai, le traitement à la vitamine A était efficace en raison du rôle joué par l'un des deux gènes originaux: il aide le corps à assimiler ce nutriment.
«Tout commence à l'échelon de l'atome», dit Kathy Borden, qui occupe son poste à l'Institut de recherche en immunovirologie et cancérologie (IRIC) depuis le 1er septembre. La chercheuse, qui a grandi à cheval sur la frontière entre le Canada et les États-Unis, s'est fait une spécialité de tailler en morceaux les microscopiques gènes du cancer afin de comprendre le rôle essentiel de chacun de leurs composants dans le déclenchement de la leucémie. Dans ses travaux de recherche fondamentale, comme elle les qualifie elle-même, Kathy Borden cherche à déterminer comment des cellules normales se transforment en cellules leucémiques.
Comme le cancer se développe dans les cellules, la recherche sur le plan moléculaire constitue une clé pour mettre au point de nouveaux traitements. Normalement, les gènes à l'intérieur des cellules ordonnent à ces dernières de grandir, de travailler, de se reproduire ou de mourir. Mais quand des instructions erronées sont données aux cellules, celles-ci deviennent «hors de contrôle», pour reprendre les termes de Kathy Borden, et ces cellules désordonnées se mettent à former des masses ou des tumeurs.
Les biochimistes qui observent le phénomène en «extrême gros plan», comme Kathy Borden, ont apporté une contribution essentielle à la compréhension du cancer dès les années 70, alors que Janet Rowley, de l'Université de Chicago, démontrait que des types particuliers de cancers sont causés par des mutations à l'échelle des chromosomes, ces paquets d'ADN qui se trouvent à l'intérieur des cellules. La plupart des améliorations dans le taux de mortalité dû à la leucémie sont survenues depuis cette percée des années 70.
Même si la leucémie ne se situe pas au même rang, pour ce qui est de l'incidence, que d'autres cancers comme ceux du poumon, du sein et de la prostate ou que le cancer colorectal, elle sera diagnostiquée chez 3900 Canadiens cette année et sera fatale dans un peu plus de la moitié des cas, selon les estimations de la Société canadienne du cancer.
Le travail de Kathy Borden consiste à analyser les fondements moléculaires des phénomènes biochimiques qui rendent les cellules cancéreuses. «Quand on comprend les mécanismes de base de la cellule normale et qu'on les compare avec ceux de la cellule cancéreuse, on peut déterminer ce qui a causé le problème et imaginer une façon de le corriger», dit la biochimiste, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie moléculaire du noyau cellulaire. Elle montre sur l'écran de son ordinateur l'image agrandie d'un globule sanguin coloré qui, en réalité, mesure quelques millièmes de millimètre d'épaisseur. La cellule est tachetée de points verts, qui représentent chacun un gène de croissance. À côté, une cellule sanguine cancéreuse apparaît entièrement recouverte de points verts.
Pour réussir à observer les cellules cancéreuses en trois dimensions sans les perturber, Kathy
Borden utilise un appareil de résonance magnétique nucléaire (RMN). Sa connaissance de la RMN a du reste contribué au rôle important qui lui a été confié à l'IRIC. Pourtant, cette machine qui coûte environ deux millions de dollars a empoisonné le début de sa carrière de chercheuse. À l'époque où elle travaillait à l'Université Dalhousie, au milieu des années 90, les budgets étaient serrés et elle devait constamment réduire la portée de ses expériences pour être en mesure de payer les frais d'utilisation de l'instrument. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont motivé son départ pour les États-Unis.
Grâce à une subvention de la Fondation canadienne pour l'innovation et à un engagement, de la part de Kathy Borden, de partager son expertise avec ses collègues de l'IRIC, la RMN sera disponible en tout temps dans le nouveau centre de 100 M$. Mme Borden et son équipe de sept chercheurs devraient atteindre un régime de croisière dès le 15 novembre.
«C'est une excellente recrue», affirme le directeur de l'IRIC, Pierre Chartrand, qui semble ravi d'avoir convaincu Kathy Borden de quitter non seulement les États-Unis, mais un établissement aussi prestigieux que le Mt.Sinai School of Medicine de New York. Kathy Borden a été sélectionnée en raison de sa connaissance du noyau cellulaire et de la technologie de résonance magnétique nucléaire, et parce qu'elle est reconnue comme quelqu'un qui pourra s'intégrer parfaitement à l'environnement multidisciplinaire de l'IRIC.
Kathy Borden attend avec impatience l'occasion de travailler en équipe avec d'autres spécialistes. «Il ne faut pas rester isolé avec son problème ou sa technique, sinon c'est le tableau d'ensemble qui nous échappe», dit-elle, ajoutant que les chercheurs qui se penchent sur la maladie de Huntington et sur le syndrome respiratoire aigu sévère ont profité du travail accompli par des scientifiques qui travaillent comme elle dans le domaine de la leucémie.
Philip Fine
Cet article a été traduit de l'anglais par Marie-Claude Bourdon.