Édition du 4 octobre 2004 / volume 39, numéro 6
 
  Deux botanistes rêvent de reboiser les îles de Boucherville
Des arbres ont été placés à l'abri des cerfs, susceptibles de venir brouter le feuillage, expliquent Étienne Laliberté et Alain Cogliastro

Étienne Laliberté (à gauche) et son directeur de recherche, Alain Cogliastro, ont suivi tout l'été l'évolution de leurs plantations sur l'île Grosbois. Ici, un érable argenté se tire bien d'affaire malgré d'abondants compétiteurs.

Sur l'île Grosbois, à l'est du parc national des Îles-de-Boucherville, un véritable laboratoire à ciel ouvert a vu le jour au printemps 2004. Dans trois secteurs d'un ancien champ de maïs, les botanistes Étienne Laliberté et Alain Cogliastro, de l'Université de Montréal, ont planté en mai dernier près de 1300 arbres. Les petites pousses de chênes à gros fruits, de frênes d'Amérique, d'érables argentés et de peupliers deltoïdes sont sous haute surveillance depuis. Les stratégies de reboisement de ce lieu, comme de l'ensemble de la plaine du Saint-Laurent, pourraient bénéficier des connaissances acquises ici.

«D'ici l'automne 2005, nous devrions être en mesure de déterminer les essences les plus appropriées aux opérations de reboisement, et surtout les techniques à privilégier», remarque Alain Cogliastro, professeur associé à l'Institut de recherche en biologie végétale du Département de sciences biologiques. «Le but n'est pas de reproduire ici la forêt telle qu'elle existait avant Christophe Colomb mais de produire rapidement une forêt fonctionnelle. Nous voulons donner un petit coup de pouce à la nature», précise Étienne Laliberté, qui consacre sa maîtrise à ce projet.

Sur ce territoire, les contraintes ont favorisé la créativité. La verge d'or, le chiendent et le chardon ont rapidement colonisé le sol lorsque les agriculteurs ont abandonné leurs terres en 2001. Ces espèces envahissantes ont laissé bien peu de place aux essences qui composent normalement une forêt. C'est pour cette raison que le travail des spécialistes est si prometteur. «Pour reboiser, la technique traditionnelle consiste à passer le terrain au bulldozer ou à l'arroser d'herbicides. Comme nous sommes dans un parc national, nous devions procéder autrement», reprend M. Cogliastro.

Ces cylindres de toile protègent les plants de chênes, d'érables, de frênes et de peupliers de la gourmandise des cerfs de Virginie, abondants dans le parc.

Aucun pesticide donc, aucune manoeuvre de véhicule lourd pour débarrasser le champ des végétaux qui ont proliféré. Deux approches «écologiques» ont été expérimentées autour des plantations divisées en trois parties. Dans la première, on a planté les tiges à l'intérieur de manchons de toile; dans la deuxième on a construit un enclos de broche; la troisième a été laissée telle quelle, sans aménagement.

Le tiers des arbres a été mis en terre dans un cylindre de toile qui laisse passer la lumière mais pas les rongeurs; un autre tiers est à l'abri des grands mammifères susceptibles de venir brouter le feuillage, et le dernier tiers sert de culture témoin.

Méthodologie adaptée

Sur le terrain, les botanistes font part à haute voix de leurs impressions. Les jeunes frênes semblent «mieux performer» que les chênes et les plantes sont apparemment plus vigoureuses en enclos que dans les manchons. Les chercheurs se penchent sur un plant en pleine santé. «Cet érable a poussé de près de 20 cm en quelques semaines. Bonne nouvelle», annonce l'étudiant. Mais il faut se méfier des impressions: tout cela sera analysé de façon scientifique à la fin de la période végétative. Et une autre analyse sera effectuée l'an prochain et au cours des années suivantes.

Pour les autorités des îles de Boucherville, qui financent la recherche à raison de 20 000 $ par année, ces données seront précieuses, car elles permettront d'orienter les pratiques de reboisement dans l'avenir. Bien que les activités agricoles soient encore permises dans les limites du parc (deux familles continuent d'exploiter leurs terres), une partie de ces dernières seront peu à peu abandonnées au profit de la forêt. Après tout, le parc national des Îles-de-Boucherville constitue à ce jour la seule aire protégée par l'État dans le corridor fluvial du Saint-Laurent.

Petite plante deviendra grande.

Les îles de Boucherville ont d'ailleurs un point commun avec l'île d'Anticosti: leurs boisés regorgent aussi de cerfs de Virginie. Au cours de la visite de Forum, trois cervidés ont traversé la route devant nous en sautillant. «Les cerfs nous posent des problèmes particuliers, explique Alain Cogliastro, car ils raffolent des jeunes pousses de feuillus. Tant que les arbres ne seront pas assez hauts pour survivre à cet effeuillage, il faudra les protéger.»

Situé à une douzaine de kilomètres de Montréal, le parc national des Îles-de-Boucherville abrite quelque 260 espèces végétales, 45 variétés de poissons, 20 espèces de mammifères, sans compter les innombrables oiseaux, amphibiens et reptiles. L'an prochain, un camping sera aménagé dans le parc. Il s'agit d'un joyau largement méconnu de la population montréalaise, mis à part le blé d'Inde qu'on y récolte à l'automne.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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