|
Pas de retraite pour Jacques Montplaisir |
En 1976, les spécialistes mondiaux de la médecine du sommeil tenaient dans une petite pièce. Le Dr Jacques Montplaisir en sait quelque chose, il était là. Stagiaire postdoctoral à l'Université Stanford, le psychiatre était parmi les neuf médecins et psychologues réunis au Hilton de Chicago pour
jeter les bases de cette nouvelle discipline. «Je me souviens que nous avions fait l'inventaire des connaissances dans le domaine aux États-Unis, dit le lauréat du prix Léo-Pariseau 2004. Et nous avions constaté que la plupart des maladies du sommeil étaient inconnues dans les milieux de la santé.»
En trois décennies, la médecine du sommeil a fait des pas de géant, au point de devenir une spécialité médicale aux États-Unis, au même titre que la gastroentérologie, la cardiologie ou la chirurgie. Les centres de recherche se sont multipliés d'un bout à l'autre de la planète de sorte qu'aujourd'hui les rencontres des spécialistes de la médecine du sommeil déplacent des foules. Au dernier congrès de l'Association of Professionnal Sleep Society, ils étaient 4000. Et cela n'inclut qu'une partie des chercheurs intéressés par les maux étranges qui frappent les dormeurs.
Témoin et acteur de l'évolution de cette science, le psychiatre Jacques Montplaisir dirige le plus important centre de recherche du pays consacré au sommeil, situé à l'Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal: le Centre d'étude du sommeil et des rythmes biologiques. Dix chercheurs y sont rattachés de façon permanente et 25 étudiants à la maîtrise, au doctorat et au postdoctorat y mènent leurs travaux. Quatre grands axes les occupent: les insomnies, les hypersomnies, les parasomnies et les maladies qui se manifestent avec acuité durant le sommeil mais ne s'y limitent pas.
Un prix qui fait plaisir
Du nom du premier président de l'ACFAS, le prix Léo-Pariseau honore chaque année un chercheur en sciences biologiques et sciences de la santé qui a «contribué de façon exceptionnelle à l'évolution des connaissances scientifiques». Jacques Montplaisir reçoit cet honneur avec plaisir, car il émane de la communauté scientifique du Québec. «Cela me touche parce que mon travail de recherche a toujours pris appui sur des préoccupations sociales autant que scientifiques.»
On doit à ce pionnier, notamment, une percée dans la compréhension d'une maladie peu connue mais fréquente, surtout au Québec, car elle touche une personne sur cinq: le syndrome des jambes sans repos. On voit ceux qui en souffrent marcher le long des couloirs dans les avions ou arpenter les corridors des cinémas durant la projection. Ils ont littéralement des fourmis dans les membres inférieurs. Des fourmis qui s'activent le plus souvent au moment de se mettre au lit et la nuit durant. La plupart sont atteints du syndrome de façon relativement bénigne, mais on a compté jusqu'à 13 000 sursauts en une seule nuit chez un cas lourd. Comme on s'en doute, les personnes qui se réveillent après une nuit aussi agitée ne sont guère reposées. Elles ont l'impression d'avoir marché toute la nuit, et c'est souvent littéralement vrai. Somnolentes ou aux prises avec des problèmes d'hypovigilance dans le courant de la journée, elles peuvent se révéler de véritables dangers publics si elles prennent le volant.
Les travaux de Jacques Montplaisir ont permis de faciliter le diagnostic de ce mal grâce à une recherche auprès de 2000 sujets canadiens, mais aussi de mieux le traiter par un médicament aujourd'hui largement utilisé, le pramipexole. Avec la collaboration du généticien Guy Rouleau, son équipe a même contribué à la découverte d'un marqueur responsable de cette maladie.
Son expertise relativement au somnambulisme et à la narcolepsie lui vaut aussi des invitations aux quatre coins du monde. Ce professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine s'est vu attribuer, en 2001, la Chaire de recherche du Canada sur le sommeil, dotée d'un budget de 1,4 M$ sur sept ans. Cette chaire lui a permis de refuser avec moins d'amertume les nombreuses offres des centres de recherche américains ou européens qui le courtisent, prêts à lui offrir le triple de son salaire. «Si j'ai refusé de quitter Montréal jusqu'à présent, ce n'était pas qu'une question d'argent, expliquait-il alors à Forum. Constituer une équipe de recherche prend du temps, et c'est chose faite ici. Notre centre est très productif et l'équipe est dynamique, compétente.»
Beaucoup reste à faire dans les prochaines années en ce qui concerne les maladies du sommeil. Le spécialiste s'attend notamment à des percées en génétique. «Cela peut paraître surprenant, mais il semble que le somnambulisme et la narcolepsie pourraient avoir d'importantes composantes héréditaires.»
En tout cas, pas de retraite en vue pour le Prix Léo-Pariseau 2004. Au contraire, il est occupé comme jamais, et l'amateur de tango en lui devra attendre pour se consacrer entièrement à son art.
Dort-il bien, au moins? «Euh... oui et non. J'avoue que je suis occasionnellement insomniaque.»
Mathieu-Robert Sauvé