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Line Beauchamp |
Tout en évitant le protectionnisme nationaliste, la culture doit être exclue des ententes sur la libéralisation du commerce international parce qu'elle fait partie de l'identité des peuples. C'est la position qu'ont défendue à l'unisson tous les intervenants à la table ronde sur la diversité culturelle qui ouvrait, le 6 octobre, les 17es Entretiens du Centre Jacques Cartier.
Cet enjeu fait l'objet d'un projet de convention actuellement en cours d'élaboration à l'UNESCO. C'est la France qui a sonné l'alarme au milieu des années 90, alors qu'elle craignait les effets désastreux pour la culture de l'accord multilatéral sur les investissements. C'est aussi la France qui a proposé à l'UNESCO de prendre en charge le projet de convention sur la diversité culturelle, a rappelé Pierre Curzi, président de l'Union des artistes et coprésident de la Coalition pour la diversité culturelle.
Le sentiment de menace pesait également très lourd dans les milieux culturels canadiens et québécois et une large coalition, regroupant tout de qui «grouille et grenouille» chez les artistes, les écrivains, les comédiens, les cinéastes, les distributeurs et les diffuseurs s'est rapidement formée. Cette coalition réunit près d'une quarantaine d'associations et une vingtaine de pays ont repris l'initiative.
Malgré l'opposition de pays aussi importants que les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Italie et le Japon, l'idée d'une convention destinée à protéger l'espace culturel de la logique des lois du marché a vite fait consensus parmi les autres nations membres de l'UNESCO, a signalé M. Curzi.
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Pierre Curzi |
Contre l'hégémonie, pour la solidarité
Pour Richard Paradis, chef de cabinet de la ministre du Patrimoine canadien, Liza Frulla, l'enjeu pour le Canada est de «se donner le droit d'avoir ses propres politiques culturelles», comme le droit d'imposer un quota de musique canadienne à la radio, de protéger l'industrie du livre ou de soutenir le développement de son propre cinéma.
Tous les intervenants ont mentionné, chacun à leur façon, que la protection des mesures nationales de soutien à la production culturelle ne doit pas signifier un repli protectionniste ni cacher un désir d'hégémonie. «Les pays développés doivent faire preuve de solidarité à l'égard des cultures étrangères», a soutenu Patrice Béghain, adjoint au maire de Lyon et délégué à la cultures. Autre écueil à éviter: la simple juxtaposition des cultures, sur le plan national ou international, qui ne favoriserait aucun échange entre les unes et les autres.
M. Béghain considère par ailleurs que la bataille est loin d'être gagnée. «En dehors de l'UNESCO, il y a le marché. Beaucoup d'entreprises se moquent de ce qui sera écrit dans la convention et certains médias commencent même à remettre en question la pertinence d'un accord sur le sujet.»
Dans la même veine que son collègue et concitoyen, Jean-Jack Queyranne, président du Conseil régional de Rhône-Alpes, a invité les décideurs à lutter contre les inégalités culturelles sur la scène internationale. «Certaines cultures sont totalement méconnues», a-t-il dit en donnant à titre d'exemples la littérature slovène et le cinéma africain, qui produit moins de 10 films par année. «La culture n'est pas une marchandise comme les autres, mais les entreprises multinationales se sont donné comme objectif de capter l'imaginaire des peuples à des fins économiques.»
À ses yeux, la puissance de la culture américaine de même que la montée du fondamentalisme religieux trainent dans leur sillage un risque d'homogénéisation culturelle à l'échelle mondiale.
Par ailleurs, on ne peut réclamer la diversité culturelle sur toute la planète et en même temps faire preuve de rigidité culturelle à l'échelon national, a pour sa part fait valoir François Héran, directeur de l'Institut national d'études démographiques de Paris. Disant craindre la disparition des cultures régionales dans l'Hexagone, il a rapporté que 25 % des Français ont entendu, dans leur jeunesse, leurs parents parler une autre langue à la maison, la moitié d'entre eux étant les locuteurs d'une langue régionale. Le taux de perdition de ces langues est de 33 % par génération.
François Héran rejette cependant le modèle du multiculturalisme britannique, qui permet à chaque communauté ethnique de recevoir des soins médicaux ou de faire des affaires dans sa langue. «Dans ce cas, la diversité conduit à une homogénéité à l'intérieur des communautés», affirme-t-il.
Droit inaliénable
C'est la ministre de la Culture et des Communications du Québec, Line Beauchamp, qui a été à la fois la plus critique à l'égard du projet de convention de l'UNESCO et la plus explicite sur ce que devrait être cette convention. La ministre a d'abord rappelé la position «claire et ferme» de son gouvernement sur la question: affirmation du droit inaliénable pour le Québec d'avoir sa politique culturelle et refus de tout compromis sur la culture dans les accords de libéralisation du commerce.
Pour Mme Beauchamp, la convention de l'UNESCO doit exister parallèlement au droit commercial et non lui être subordonnée. «Il y a un nouveau droit international à élaborer et il doit être doté de ses propres mécanismes de règlement des différends.»
L'avant-projet de convention lui apparait comme une «bonne base de discussion», mais il devrait affirmer plus clairement le droit des pays à avoir leur politique de protection de la culture en tant que produit identitaire. Prenant ses distances par rapport aux intervenants précédents, Line Beauchamp a déclaré qu'il fallait éviter de faire dévier le débat sur les questions des minorités culturelles nationales et du fondamentalisme religieux.
Pas moins de 152 pays ont participé aux premiers travaux de cette convention. Les membres de l'UNESCO ont jusqu'au 15 novembre pour livrer leurs commentaires sur l'avant-projet dont la version finale doit être soumise aux pays membres à l'automne 2005.
Daniel Baril