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Marie-Claude Rousseau a eu accès à des données qui lui ont permis d'affermir le lien entre le diabète et le cancer du foie. |
Une série d'entrevues effectuées il y a 20 ans auprès de patients atteints de cancer pour les besoins d'une étude sur les risques associés aux lieux de travail a donné des résultats inattendus. En fouillant dans cette mine de renseignements personnels et médicaux, une équipe conduite par Marie-Claude Rousseau a découvert un lien majeur entre le diabète et le risque de souffrir d'un cancer du foie ou du pancréas.
Marie-Claude Rousseau, boursière postdoctorale en épidémiologie environnementale et santé des populations au Département de médecine sociale et préventive, a choisi son champ d'études après avoir remarqué les liens établis entre le diabète et différents types de cancer dans la documentation médicale. En tant qu'épidémiologiste, elle s'intéresse aux facteurs de risque qui menacent la santé de la population, ce qui fait du cancer un sujet de recherche tout indiqué pour elle. «Le cancer est très complexe, dit la chercheuse de 35 ans. De plus en plus, on observe une interaction entre les facteurs génétiques et les facteurs environnementaux, qui sont liés à ce que nous respirons et ce que nous mangeons, ce qui se trouve dans nos lieux de travail et dans nos maisons.»
Mme Rousseau a utilisé les antécédents médicaux fournis par des hommes atteints de cancer et par des individus en bonne santé choisis au hasard dans la population. Ces données proviennent d'une étude menée à Montréal dans les années 80 et dirigée par son collègue Jack Siemiatycki. Cette étude, basée sur des entrevues en profondeur, a permis au chercheur d'étudier d'une part le lien entre différentes occupations et diverses substances rencontrées sur les lieux de travail, et d'autre part le risque de développer un cancer. Les 3288 patients qui avaient reçu un diagnostic de cancer à l'époque et les 509 individus en bonne santé devaient répondre à de nombreuses questions, notamment pour savoir s'ils souffraient de diabète et, le cas échéant, à quel moment cette maladie s'était manifestée et s'ils prenaient des médicaments pour la traiter.
En comparant les patients cancéreux avec les sujets en bonne santé et en tenant compte de certaines caractéristiques déterminantes, l'épidémiologiste a observé que les personnes diabétiques étaient plus à risque de développer un cancer du foie ou du pancréas, mais qu'elles ne présentaient pas un risque plus élevé pour les autres cancers.
L'association entre le diabète et les cancers du pancréas et du foie a déjà été rapportée. Mais Marie-Claude Rousseau et ses collègues, Marie-Élise Parent et le Dr Siemiatycki, ont pris en considération des facteurs sociodémographiques ainsi que des facteurs liés aux habitudes de vie qui n'ont pas été évalués dans les études précédentes. Même en considérant des facteurs notoirement associés au diabète, comme l'obésité, le risque des sujets diabétiques de souffrir d'un cancer du pancréas ou d'un cancer du foie est respectivement deux fois et trois fois plus élevé.
En fournissant cette information supplémentaire, l'étude apporte une contribution significative à la littérature médicale, puisqu'elle établit l'association la plus probante à ce jour entre le diabète et le cancer du foie. L'article de Marie-Claude Rousseau décrivant sa découverte, intitulé «Diabetis Mellitus and Cancer Risk in a Population-based Case-control Study among Men from Montreal, Canada» («Le diabète sucré et les risques de cancer dans une étude cas-témoin reposant sur une population d'hommes de Montréal [Canada]»), contribue à renforcer l'hypothèse selon laquelle les réactions biochimiques qui ont lieu dans l'organisme diabétique pourraient avoir des effets indirects à l'échelle cellulaire. L'association concorde également avec les résultats d'une étude beaucoup plus vaste récemment publiés dans l'American Journal of Epidemiology, qui reliait le diabète à des taux de mortalité par cancer du foie nettement plus hauts.
«En tant qu'épidémiologiste, j'ai toujours hésité à me prononcer catégoriquement sur la causalité. Cependant, nos résultats militent fortement en faveur d'un lien entre le diabète et le cancer du foie», déclare Marie-Claude Rousseau, qui présentera cette semaine les résultats de son projet de recherche à Seattle, au cours de la réunion intitulée «Frontiers in Cancer Research Prevention».
Philip Fine
Cet article a été traduit de l'anglais par Marie-Claude Bourdon
Les fanatiques de la vie privée nuisent aux chercheurs |
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Le Dr Jack Siemiatycki | Le chercheur en santé publique Jack Siemiatycki affirme qu'une étude comme celle qu'il a menée dans les années 80 et qui a récemment contribué à établir une association entre le diabète et les cancers du foie et du pancréas serait pour ainsi dire impossible à réaliser aujourd'hui en raison de la sévérité des lois protégeant la vie privée et des autorités qui les mettent en application.
Le titulaire de la Chaire de recherche en épidémiologie environnementale et santé des populations soutient que les épidémiologistes canadiens se font constamment mettre des bâtons dans les roues par des fanatiques de la vie privée, qui ont fait en sorte qu'il est devenu de plus en plus difficile d'obtenir de l'information sur les patients.
Les épidémiologistes dépendent des patients des autres médecins pour effectuer leurs études à grande échelle et ont besoin d'avoir accès aux dossiers médicaux, rappelle-t-il. Or, la législation sévère sur la protection de la vie privée, doublée de comités pointilleux dans les hôpitaux, rend les chercheurs dépendants des médecins pour accomplir le travail des assistants de recherche visant à recruter des patients. «Ça ne fonctionne tout simplement pas. Les médecins n'ont pas le temps de faire ce genre de travail. Avez-vous essayé d'obtenir un rendez-vous avec un médecin dernièrement?» demande le Dr Siemiatycki.
Selon Jack Siemiatycki, les récentes restrictions relatives à l'utilisation d'éléments de la vie privée ont empêché la réalisation de plusieurs études à grande échelle à cause de toutes les embûches semées par les autorités sur le chemin des chercheurs en santé publique. «Le véritable héritage d'un grand nombre de ces avocats, éthiciens et comités d'éthique qui mènent la bataille pour la protection de la vie privée sera constitué de cancers et d'autres maladies, un fardeau honteux qui n'a rien d'éthique. Si leurs valeurs avaient prévalu il y a 50 ans, on ne saurait toujours pas que la cigarette cause le cancer.»
Le Dr Siemiatycki explique que les pressions visant à restreindre l'accès aux dossiers médicaux sont venues au départ de gens qui ne voulaient pas que des renseignements confidentiels les concernant soient accessibles à des intérêts privés, comme les compagnies d'assurance. Mais aujourd'hui, dit-il, c'est la santé publique qui en subit les conséquences. «C'est la recherche épidémiologique qui se trouve ainsi paralysée. Et ce type de recherche constitue la base scientifique de la prévention des maladies.»
P.F. |