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Michel Gérin met en garde les thanatologues et les techniciens de laboratoire contre les risques liés au formaldéhyde. |
Le formaldéhyde qui entre dans la composition du formol, l'un des produits les plus utilisés dans le secteur de la thanatologie et dans les services de pathologie des hôpitaux, cause le cancer du rhinopharynx. Ce produit pourrait aussi causer la leucémie ainsi que les cancers des fosses nasales et des sinus.
C'est la conclusion à laquelle est parvenu un groupe de 26 chercheurs réunis au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à Lyon, du 2 au 8 juin dernier. Les chercheurs, venus de 10 pays, étaient rassemblés sous la présidence du chimiste Michel Gérin, directeur du Département de santé environnementale et santé au travail. «Les Québécois ont beaucoup entendu parler de la mousse isolante d'urée formaldéhyde ou MIUF, aujourd'hui interdite, explique M. Gérin. Mais cela ne signifie pas que le formaldéhyde est peu utilisé de nos jours. Au contraire. Plusieurs objets de consommation en contiennent ou en dégagent, mais dans des concentrations moindres: panneaux agglomérés, meubles, vêtements, certains produits à base de résines comme des peintures, des colles, etc.»
Selon une étude récente, quelque 40 000 Québécois travaillent dans des milieux où ils sont exposés de façon plus ou moins prolongée au formaldéhyde. Les thanatologues, qui doivent remplacer le sang dans les vaisseaux par une solution à base de formol afin de permettre la conservation des cadavres, seraient parmi les plus soumis à ce produit, qui constitue aussi un irritant pour les yeux, le nez et la gorge, selon M. Gérin. Mais les pathologistes hospitaliers, les techniciens de laboratoire et les chercheurs qui sont en contact avec le formol, encore employé pour conserver les tissus, seraient aussi à risque. «Les personnes très exposées courent de deux à cinq fois plus de risques d'être atteintes de certains types de cancers que le grand public», dit le spécialiste.
Un organisme prudent
M. Gérin, qui étudie le formaldéhyde depuis 20 ans, mentionne qu'on soupçonnait ce produit de causer diverses formes de tumeurs, mais les preuves scientifiques n'étaient pas assez nombreuses pour amener un organisme comme le CIRC à l'inscrire en haut de sa «liste noire». «Quand les chercheurs se réunissent, ils examinent en priorité les études épidémiologiques, car elles portent sur l'humain ; mais les études toxicologiques sur l'animal ont aussi une grande importance en l'absence de résultats indiscutables chez l'être humain.»
Au cours des dernières années, des recherches conduites dans divers pays ont apporté plusieurs arguments de nature à incriminer le formaldéhyde. Dans une seule étude, aux États-Unis, on a examiné les cas de 22 000 travailleurs de l'industrie chimique. Les plus exposés couraient un risque deux à trois fois plus élevé de souffrir d'un cancer du rhinopharynx, un cancer relativement rare. D'autres études portant sur divers milieux de travail ont donné des résultats similaires.
«On pense de plus en plus que le formaldéhyde pourrait également être un facteur de risque dans le développement de la leucémie, un cancer assez fréquent. Mais dans ce cas, comme dans celui des cancers du nez et des sinus, les chercheurs n'ont pas jugé que les preuves étaient suffisantes pour confirmer l'action du produit», rajoute-t-il.
900 substances analysées
Depuis la création du CIRC, pas moins de 900 substances sont passées sous la loupe des groupes d'experts, qui se réunissent trois fois par année. Le choix des substances est fait en fonction de leur présence répandue dans le monde du travail ou dans l'environnement en général. «Quand un produit est proposé pour l'examen, mentionne le chimiste, on a déjà des soupçons. Le plus souvent, des études sur l'animal ont montré qu'il présentait des risques potentiels.»
À l'issue des discussions, les experts donnent à la substance une cote de 1 à 4, le premier chiffre indiquant une toxicité appuyée par des preuves en nombre suffisant. Près d'une centaine de substances ou autres agents pathogènes (des micro-organismes, des rayonnements, des modes de vie) ont reçu, à ce jour, la cote «1: agent cancérogène pour l'humain». Les autres cotes sont «2A: agent probablement cancérogène pour l'humain», «2B: agent peut-être cancérogène pour l'humain», «3: agent qui ne peut pas être classé quant à sa cancérogénicité pour l'humain» et «4: agent qui n'est probablement pas cancérogène pour l'humain».
À titre d'exemple, le CIRC a examiné dans une réunion récente le risque que présente l'exposition aux champs magnétiques d'extrêmement basse fréquence, tels que ceux sous les lignes à haute tension. Compte tenu de l'état actuel des connaissances, ces champs ont reçu la cote «2B: agent peut-être cancérogène pour l'humain».
Plus de la moitié des agents examinés ont reçu la cote 3 et ne peuvent par conséquent pas être classés quant à leur potentiel cancérogène. «Mais attention, prévient M. Gérin. Une absence de preuves ne veut pas dire une absence de culpabilité. Une étude ultérieure pourrait amener une réévaluation des cotes attribuées et faire migrer certains agents d'une catégorie à une autre. C'est ce qui est arrivé justement au formaldéhyde, dont la cancérogénicité a été révisée à la hausse au cours de la réunion de juin.»
Le chercheur parle du CIRC comme d'une sorte de «tribunal scientifique», car les délibérations ont quelques similitudes avec celles qui se déroulent dans un véritable palais de justice. Il y a en effet un examen très serré et systématique de tous les indices et éléments de preuve. Cependant, s'il n'y a pas consensus parmi les scientifiques, la majorité l'emporte.
Et comme dans la vie courante, bien souvent, le suspect est «acquitté» faute de preuves suffisantes.
Mathieu-Robert Sauvé