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Contrairement aux jeunes hommes, les jeunes femmes qui ont connu des épisodes agressifs délaissent la violence lorsqu'elles atteignent l'âge adulte. Mais cela ne signifie pas que l'anxiété soit disparue pour autant. |
Chez les jeunes femmes âgées de 18 à 23 ans qui ont connu une phase de délinquance au cours de l'adolescence, le taux de tentatives de suicide est 3,5 fois plus élevé qu'au sein de l'ensemble des femmes de cette tranche d'âge. Plus de 21 % d'entre elles ont en effet tenté au moins une fois de mettre fin à leurs jours, alors que le taux est de 6 % pour tout le groupe d'âge.
Ces mêmes jeunes femmes judiciarisées sont 4,6 fois plus nombreuses que les autres à aller en consultation psychologique et presque 12 fois plus nombreuses à subir une hospitalisation psychiatrique!
Bien qu'il s'agisse de données autorapportées, ces chiffres sont alarmants, avoue Nadine Lanctôt, professeure à l'École de criminologie. Avec son collègue Denis Lafortune, elle dirige la thèse de Mélanie Corneau dont les travaux, qui seront publiés dans le numéro de décembre de Criminal Behavior and Mental Health, ont révélé les données précédentes.
D'autres recherches avaient déjà démontré que les tentatives de suicide étaient plus fréquentes chez les adolescents judiciarisés, mais les données de l'étudiante montrent que le problème persiste même au début de l'âge adulte et qu'il touche beaucoup plus les femmes. Par comparaison, le taux de tentatives de suicide chez les hommes de 23 ans faisant partie de la même cohorte est le double de ce qui est observé dans l'ensemble de la population de cet âge.
Parcours différenciés selon le sexe
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Nadine Lanctôt |
Les délits perpétrés par les jeunes de cette étude incluent la consommation de drogues, les fugues, les vols et les voies de fait. À 15 ans, deux fois plus de garçons que de filles ont commis des voies de fait. Mais alors que ces comportements violents envers les autres cessent chez les filles devenues adultes, ils persistent chez les hommes.
En revanche, la violence contre soi-même c'est-à-dire le suicide est beaucoup plus répandue chez les femmes. Même si filles et garçons délinquants ont eu le même parcours à l'adolescence, ils ne vivront pas nécessairement les mêmes problèmes à l'âge adulte. Et si les femmes délaissent la délinquance, leur santé mentale n'en est pas pour autant meilleure.
C'est entre 15 et 17 ans que les cheminements se différencient selon les sexes. Mélanie Corneau a cherché à savoir pourquoi la violence externalisée cesse chez les filles alors qu'elle continue chez les garçons. Selon ses travaux, ce sont les traits de caractère propres à chacun des sexes qui semblent expliquer le mieux l'inclination vers le suicide ou vers l'agression.
«L'impulsivité, le goût du risque, l'opposition aux valeurs sont des traits de personnalité plus marqués chez les garçons. Leur propension à ces comportements reste élevée alors qu'elle diminue avec l'âge chez les filles, souligne-t-elle. Par ailleurs, les filles se distinguent des garçons par un plus haut taux d'anxiété, de détresse affective et d'irritabilité.»
La dureté féminine
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Mélanie Corneau |
En tenant compte de ces variations intersexes, Nadine Lanctôt a pu noter que ce sont les mêmes caractéristiques qui, chez les hommes comme chez les femmes, constituent les meilleurs prédicteurs de comportements délinquants. Plus la personne fait preuve de dureté et d'impulsivité, plus elle est à risque de délinquance.
«Celles qui adoptent des comportements déviants se rapprochent donc d'un modèle masculin, mais les manifestations de ces comportements seront différentes», indique Nadine Lanctôt.
Selon la professeure, ceci remet en question la théorie traditionnelle en criminologie selon laquelle on ne peut pas appliquer à la délinquance féminine les facteurs explicatifs de la criminalité masculine et qui postule l'existence de facteurs propres à la délinquance des filles.
Mélanie Corneau poursuit ses travaux en tentant de comprendre comment la socialisation sexuellement différenciée de même que les rôles sexuels peuvent expliquer le chemin différent que prennent les garçons et les filles affichant les mêmes traits de caractère à risque de délinquance. À son avis, cette socialisation différenciée est aussi à l'origine des différences intersexes dans les traits de personnalité masculins et féminins observés dans la population en général. «Nous ne tenons pas compte des facteurs biologiques», précise-t-elle.
Ces travaux sont effectués auprès d'un groupe de 400 jeunes adultes (hommes et femmes) ayant commis des délits au cours de l'adolescence et avec qui le criminologue Marc Le Blanc poursuit des études longitudinales. Il s'agit du seul programme de recherche longitudinale dans le monde portant sur des adolescents judiciarisés et visant à étudier les liens entre traits de caractère et comportements délinquants.
Daniel Baril