Édition du 22 novembre 2004 / volume 39, numéro 12
 
  Il y aura des bourses Guy-Rocher en sciences sociales
Ayant lui-même reçu un coup de pouce lorsqu'il était étudiant, le sociologue veut aider les délaissés du système d'aide financière

À titre d'universitaire engagé, Guy Rocher a exercé une influence sur la modernisation du Québec. Un fonds portera son nom. On le voit ici en compagnie de trois de ses étudiants à la maîtrise en droit.
Au moment où les étudiants québécois descendent dans la rue pour manifester contre les compressions gouvernementales dans l'aide financière aux étudiants, l'Université de Montréal lance le Fonds Guy-Rocher. Dès l'automne 2005, un étudiant en sciences sociales de la Faculté des études supérieures recevra une bourse de 5000 $. Le Fonds pourrait offrir deux, voire trois bourses par année lorsque l'objectif de capitalisation de 250 000 $ sera atteint.

«Je suis content de pouvoir aider les étudiants qui s'orientent vers les sciences sociales, un secteur défavorisé si on le compare avec les sciences pures ou les sciences de la santé», a dit le sociologue bien connu. Il a accepté de donner son nom au fonds qui existera, espère-t-il, «bien après que les gens auront oublié qui était Guy Rocher».

Ceci n'est pas près d'arriver si l'on en juge par les témoignages qui ont été apportés au lancement, le 11 novembre, par d'anciens étudiants aujourd'hui professeurs d'université, hommes d'affaires ou... recteur. Robert Lacroix se souvient que les futurs économistes ne sautaient pas de joie quand ils se présentaient au cours obligatoire de sociologie de l'économie, dans les années 50. «Votre cours a été magistral, a-t-il commenté, à tel point que certains ont changé de vocation pour se diriger vers la sociologie. Ça n'a pas été mon cas.»

M. Rocher a fait sourire les invités réunis pour la cérémonie lorsqu'il a parlé de l'aide financière qu'il avait lui-même obtenue, dès 1935. Sa première bourse provenait du legs d'un curé décédé de sa paroisse d'origine. «Je n'ai jamais su son nom.» Sa seconde, en 1947, lui est venue du père d'un ami, riche industriel, qui avait plongé sa main dans un tiroir pour en sortir une liasse de billets. «Il y avait 500 $ en tout.» Avant que l'étudiant obtienne une véritable bourse, versée par la Société royale du Canada, à sa deuxième année à l'Université Harvard, c'est le fondateur de la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval, Georges-Henri Lévesque, qui l'avait personnellement dépanné.

«J'ai été aidé financièrement, je connais donc l'importance des bourses d'études», a-t-il reconnu. Il s'est montré cinglant quant à la décision du gouvernement provincial de sabrer le budget de l'aide aux étudiants. «Bien sûr que je déplore cette décision», a-t-il laissé tomber à Forum.

«Arrête, j'accepte»

De gauche à droite sur notre photo: Guy Lord, associé chez Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l.; Louis Maheu, doyen de la Faculté des études supérieures; Robert Tessier, président et chef de la direction de Gaz Métropolitain; Jean-Marc Eustache, président et chef de la direction de Transat A.T.; Louise Morin, directrice des communications et du marketing à Investissement Québec; Robert Lacroix, recteur; et Pierre Patry, trésorier de la Confédération des syndicats nationaux. À l'avant-plan, Guy Rocher.

Alors que le projet du Fonds Guy-Rocher était encore embryonnaire, le doyen de la Faculté des études supérieures, Louis Maheu, a voulu le vendre au président et chef de la direction de Gaz Métropolitain, Robert Tessier. Pour cela, il avait longuement préparé des arguments pour le convaincre. Après deux minutes, l'homme d'affaires a interrompu la conversation. «Arrête ton boniment, Louis, c'est correct. J'accepte de travailler sur ce projet avec vous.»

Quelques mois plus tard, MM. Tessier et Maheu peuvent déclarer mission accomplie. Ils ont réussi, avec l'aide du Fonds de développement de l'Université, à réunir des sommes allouées par les organismes suivants: AXA Assurances; Banque nationale du Canada; Confédération des syndicats nationaux; Gaz Métropolitain; Hydro-Québec; Investissement Québec; Mouvement des caisses Desjardins; Osler Hoskin, & Harcourt s.r.l.; et Transat A.T. Guy Rocher a également versé une somme de plusieurs milliers de dollars, qu'il n'a pas voulu préciser à Forum.

«Des banques, des syndicats, des compagnies d'assurance... Il n'y avait qu'un sociologue pour rassembler tout ce beau monde», a fait remarquer M. Tessier, lui-même titulaire d'un diplôme en sociologie.

Interdisciplinaire et engagé

Pionnier de la sociologie de l'éducation, du droit et de l'éthique médicale, Guy Rocher est respecté internationalement pour ses qualités de penseur. Comme pédagogue, il a formé à la sociologie des milliers d'étudiants au Canada et ailleurs dans le monde grâce à ses écrits. Il a activement participé à la modernisation éducative, sociale et culturelle du Québec contemporain en prenant part, entre autres, à la commission Parent (Mgr Alphonse) dans les années 60.

Avec son diplôme de l'Université Harvard, il commence à enseigner à l'Université Laval en 1952. En 1960, il devient professeur titulaire de sociologie à l'UdeM, poste qu'il occupe toujours. Il a été directeur du Département de sociologie (1960-1965), vice-doyen de la Faculté des sciences sociales (1962-1967) et, depuis 1979, il est chercheur au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit.

Entre 1977 et 1983, Guy Rocher fait deux parenthèses dans sa carrière universitaire pour travailler au sein du gouvernement du Québec, d'abord comme secrétaire général associé au Conseil exécutif et sous-ministre du Développement culturel (1977-1979), puis comme secrétaire général associé au Comité exécutif et sous-ministre du Développement social (1981-1983).

En lui rendant hommage, le recteur Lacroix a souligné sa préoccupation pour l'interdisciplinarité, bien avant que le mot devienne à la mode. «Des professeurs comme vous, les universités en produisent un ou deux par génération», a-t-il observé.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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