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Le trafic de drogue peut être très lucratif. |
Quand une personne braque une banque et se sauve avec un million de dollars, elle risque 10 ans de prison. Malgré cette sentence, rien ne prouve qu'elle ne récidivera pas dès qu'elle aura retrouvé sa liberté. «La dissuasion, c'est bon seulement pour une catégorie de criminels, affirme Carlo Morselli. Nos travaux démontrent que la lourdeur des conséquences ne change en rien le comportement de ceux qui réussissent dans le crime, car les bénéfices sont très élevés.»
Professeur à l'École de criminologie, il donne l'exemple d'un homme rencontré en prison qui avait écopé d'une peine de sept ans pour avoir détourné des fonds d'une valeur de sept millions. La fraude s'élevait en réalité à cinq millions. «La sentence était moins importante à ses yeux que l'exagération dans l'estimation des profits.»
En collaboration avec Pierre Tremblay, professeur à la même école, M. Morselli vient de publier une étude sur le sujet dans le journal scientifique Criminology. Les chercheurs s'intéressent particulièrement aux facteurs liés à la «réussite criminelle». «Un manque de contrôle de soi et une gestion performante des contacts sont deux facteurs qui expliquent pourquoi certains contrevenants se font plus d'argent que d'autres», dit Carlo Morselli. Ceux qui réussissent le mieux sont impliqués dans des «crimes de marché» comme le trafic de drogue. Le vol et la fraude semblent moins payants.
L'étude des professeurs Morselli et Tremblay a été menée auprès de 220 délinquants en tous genres: voleurs de sacs à main, fraudeurs du fisc, vendeurs de drogue, etc. Incarcérés dans cinq pénitenciers du Québec, ces criminels ont été répartis en deux catégories: ceux ayant commis des «crimes de marché» et ceux ayant perpétré des «crimes lucratifs de prédation» tels une fraude ou un vol.
Les résultats révèlent que le manque de contrôle de soi est un trait de caractère dominant chez les voleurs et les fraudeurs. «Plus ce comportement est présent chez eux, plus élevés sont leurs revenus criminels», indique Carlo Morselli. Pour les vendeurs de drogue, cependant, il n'y a pas de lien direct entre le manque de contrôle de soi et les bénéfices financiers. «Ce trait de personnalité a toutefois un impact sur leur aptitude à gérer leurs affaires et, incidemment, sur leurs revenus», précise le chercheur qui explique la «réussite criminelle» par une habitude à prendre des risques et une capacité de penser et de réagir rapidement. «Exactement comme un homme d'affaires», ajoute-t-il.
Gestion performante des réseaux
La «réussite criminelle» dépend également de la manière dont les personnes réalisent leurs activités, notamment au travers des liens qu'elles établissent. En effet, en analysant les données recueillies sur une période de trois ans, les chercheurs ont observé que les contrevenants impliqués dans les crimes de marché se font plus d'argent lorsque leurs réseaux sont composés de gens qui ne se connaissent pas. «Cette approche permet à la personne de se positionner comme courtière entre des gens sans lien les uns avec les autres et limite les possibilités de se faire repérer», note M. Morselli.
Les travaux des professeurs Morselli et Tremblay prouvent que le crime peut parfois être payant alors que la littérature scientifique portait à croire le contraire. «On présumait que les gains étaient minimes et à court terme sans même avoir fait de recherches sur le sujet. C'est toute la question de la dissuasion qui est remise en cause», soutient Carlo Morselli.
Une rencontre déterminante
Engagé par l'Université en 2001, ce jeune professeur de 35 ans s'intéresse à la «réussite criminelle» depuis ses études à l'Université McGill. «J'ai rencontré Pierre Tremblay en 1989, à l'occasion d'un cours qu'il était venu donner sur le sujet. J'ai eu la piqûre!» relate Carlo Morselli. Cette rencontre avec le professeur Tremblay est déterminante: le spécialiste renommé de la sociologie criminelle deviendra son directeur de thèse.
Doctorat en poche et honneurs en prime, Carlo Morselli est aussitôt recruté comme professeur par l'UdeM. Membre du corps professoral de l'établissement depuis seulement trois ans, il a déjà permis à une dizaine d'étudiants aux cycles supérieurs d'obtenir leur diplôme.
Dominique Nancy