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De nombreux enfants arrivent à l'hôpital sans connaître les habitudes «culturelles» locales. |
Les milieux hospitaliers, qui sont encore en restructuration, n'échappent pas au pluralisme grandissant de la société québécoise. Et qui dit pluralisme, dit pluralité des rapports avec la santé. «L'interprétation et le vécu de la maladie pour l'enfant et sa famille renvoient à des valeurs fondamentales qui varient d'un ensemble culturel à l'autre», souligne Sylvie Fortin, anthropologue au Département de pédiatrie de la Faculté de médecine.
Mme Fortin est la première anthropologue à intégrer une équipe de professeurs en santé à titre de professeure adjointe de recherche. À ce titre, elle s'est jointe à l'Unité de pédiatrie interculturelle de l'Hôpital Sainte-Justine, dont la mission est de mieux comprendre les liens avec la santé qu'établissent les immigrants de première génération. Elle a du pain sur la planche puisque les nouveaux arrivants proviennent d'une centaine de pays et qu'on observe des différences parfois marquées au sein d'une même culture. Au CHU mère-enfant, 45 % des patients sont issus de familles migrantes.
La clinique comme terrain d'observation
Dans un article paru le mois dernier dans l'ouvrage collectif Soins aux enfants et pluralisme culturel (Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine), Sylvie Fortin mentionnait que le pronostic de guérison s'améliore, tant du côté physiologique que du côté psychique, quand on tient compte des variables humaines et sociales dans l'évaluation et le traitement. «Il faut donc faire une place aux normes et aux valeurs de l'autre pour être efficace sur le plan thérapeutique», affirme-t-elle.
En plus de siéger au comité de bioéthique de l'établissement hospitalier, la chercheuse a choisi comme terrain d'observation et d'intervention les cliniques de soins palliatifs, d'hémato-oncologie et de pathologies complexes, autant de lieux où des cas lourds sont traités. Pour l'anthropologue de la santé, ce sont des «espaces chargés symboliquement» où se structurent des relations sociales entre les professionnels de la santé et les patients.
«Ce sont des lieux où il faut parfois prendre des décisions critiques quant à la fin de vie et les migrants ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde que les spécialistes ou ne partagent pas toujours les codes en vigueur, signale-t-elle. Les compétences professionnelles coutumières ne suffisent pas lorsqu'il faut accompagner des parents dans un deuil ou soigner un enfant qui vit à la frontière de plusieurs mondes. Je cherche à comprendre comment les rapports sociaux s'organisent, quels sont les univers de référence qui sous-tendent la relation avec la santé, tant chez les professionnels que chez les patients.»
Parmi les cas conflictuels liés à des valeurs culturelles, Sylvie Fortin a eu à intervenir dans une situation où un père avait choisi de ramener son fils en phase terminale vivre ses derniers jours à la maison. L'équipe médicale devait s'assurer que l'enfant recevait les soins appropriés, mais le père considérait qu'on violait son espace privé. En observant la situation, Sylvie Fortin a compris qu'un rapport de genre troublait la relation entre ce père et les services de santé. Si le lien avait été assuré par un homme, les choses auraient pu se passer autrement.
«Plusieurs familles craignent ainsi la présence des soignants dans leur milieu et il faut savoir comment les aborder», indique la chercheuse.
Dans un autre cas, elle a remis en question la perception du personnel de l'hôpital à l'égard d'un parent qui estimait qu'on ne se préoccupait pas suffisamment de son enfant. Le personnel attribuait cette incompréhension au fait que le parent faisait partie d'une communauté défavorisée; pour Sylvie Fortin, cette perception aurait sans doute été différente si le parent avait appartenu au groupe majoritaire. «Les praticiens ont eux aussi leur univers de référence», fait-elle remarquer.
Mais toutes les situations ne sont pas à problème. L'anthropologue de la santé documente également les cas où tout se passe bien afin de comprendre ce qui fait le succès d'une intervention. Et elle a son hypothèse: «Si tout va bien dans la vie en général, les différences culturelles ne seront probablement pas un handicap pour tirer le meilleur profit des soins de santé. Mais les gens qui vivent déjà des situations difficiles associées à leur parcours migratoire vont probablement avoir de la difficulté à accepter les normes et les façons de faire du système de santé.»
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Sylvie Fortin |
Parfaire la formation des praticiens
Parallèlement à ses interventions au sein de l'Unité de pédiatrie interculturelle, Sylvie Fortin poursuit des travaux d'observation auprès de communautés musulmanes en provenance du nord et de l'ouest de l'Afrique ainsi que du Liban.
«L'attention est portée sur l'établissement de l'identité et des liens sociaux en contexte migratoire, et plus spécifiquement sur le rapport établi avec le corps, la grossesse, la santé et le deuil», précise-t-elle.
Cette expertise, de même que celle acquise à l'Hôpital Sainte-Justine, servira ultimement à parfaire la formation du personnel de santé sur les aspects du pluralisme culturel. Il s'agira, par des conférences, des ateliers, des cours prédoctoraux, des activités de formation continue et d'encadrement d'étudiants, de mieux arrimer la pratique médicale et les enjeux du pluralisme. «Assurer un meilleur mariage corps et esprit et humaniser les soins», résume la chercheuse.
Mais de telles attentes ne risquent-elles pas d'être trop grandes pour un système déjà fragilisé et critiqué de toutes parts? «Il faut être humble, mais on peut certainement faire un bout de chemin, répond Sylvie Fortin. Il n'y a pas de recette unique en milieu pluraliste, mais une zone grise dans laquelle il faut être plus attentif à ce que vit le patient.»
Le fait qu'un hôpital a accepté pareil projet est déjà un signe d'ouverture du milieu quant à cette approche. «En clinique, la collaboration est excellente. Il faut profiter du défi que représente le pluralisme pour faire le point sur la situation et réfléchir sur la philosophie de santé que nous voulons mettre en place.»
Daniel Baril