Dans son roman La souris et le rat, dont la toile de fond est une université de 50 000 étudiants avec «une tour phallique» à flanc de montagne, Jean-Pierre Charland met en scène des doctorants qui n'en finissent plus d'étirer leur thèse face à des professeurs carriéristes aussi inspirés par la silhouette de leurs étudiantes que par le pouvoir de la haute direction. «Un vice-doyen, c'est une souris qui rêve de devenir un rat», peut-on lire en exergue. C'est cette exclamation entendue dans un stage de formation par M. Charland (incidemment vice-doyen à la Faculté des sciences de l'éducation) qui a donné le titre au livre.
Même si l'éditeur précise sur la couverture arrière que «toute ressemblance avec des personnes réelles ne pourrait être que fortuite», la première chose qu'on demande au romancier quand on le rencontre dans son bureau du pavillon Marie-Victorin, ce sont les noms de ceux et celles qui se cachent derrière cette fiction! «Des noms? Vous n'en aurez pas parce qu'il n'y en a pas, répond l'auteur avec un large sourire. Les personnages qui figurent dans mon livre sont des compositions. Ils sont peut-être inspirés de gens que j'ai côtoyés au cours de ma carrière, mais personne ne peut se reconnaître spécifiquement. Mon livre est une pure fiction.»
Les associations d'idées sont pourtant imparables pour le lecteur habitué à sillonner le campus de l'Université de Montréal. Comment ne pas s'imaginer le bibliothécaire dans un petit bureau à aires ouvertes au pavillon Samuel-Bronfman? Ou la scène de filature dans le véritable stationnement étagé? Dans le roman, la rue Jean-Brillant est devenue la rue Pierre-Lenoir, le boulevard Édouard-Montpetit s'est transformé en boulevard Léon-Guérin et l'on y parle du syndicat non pas 1244 mais 1355. Quant aux numéros de téléphone, ils ne commencent pas par 343 mais par 454.
Le romancier admet qu'il a peut-être utilisé quelques raccourcis faciles pour conférer à l'histoire une certaine vraisemblance, mais il jure qu'il ne faut pas pousser le zèle plus loin. D'ailleurs, si l'historien travaille à l'UdeM depuis 1990, il a déjà occupé pendant 10 ans des postes à l'Institut québécois de recherche sur la culture et à l'Université d'Ottawa. Entré au baccalauréat en 1974 à l'Université Laval, cet homme a passé les deux tiers de sa vie à l'université. Et la fiction n'est pas une lubie nouvelle chez lui. La souris et le rat est son sixième roman.
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Jean-Pierre Charland |
Décor rare
L'intrigue policière ne réinvente pas le genre et décevra peut-être les amateurs de romans noirs. Mais elle recèle des surprises. Quant aux protagonistes, ils ont un trait de caractère commun: le cynisme. Cynisme dans les rapports humains, dans la sexualité et surtout dans les vicissitudes du travail universitaire. «D'un signe de tête, Léopold Poulin avait indiqué à Sylvain d'enchaîner pendant qu'il serrait très fort les bras de son fauteuil. C'était un bon moyen de repousser le sommeil pendant que les étudiants se faisaient trop ennuyeux» (p. 24). «Trudel achevait la carrière en n'étant jamais venu plus de 10 heures par semaine sur le campus» (p. 128).
Cela dit, le roman de Jean-Pierre Charland présente des personnages attachants qui tiennent le lecteur en haleine tout au long des 240 pages. C'est un livre excitant qui offre un regard humoristique et humain sur le milieu universitaire. «Il faut savoir rire de soi», précise l'auteur en affirmant que plusieurs personnes, autour de lui, partagent cette disposition. Pour lui, les universitaires sont capables de se dérider en dépit d'une allure austère.
À lire La souris et le rat, on regrette que le milieu universitaire, si porteur d'intrigues, inspire si peu les romanciers québécois. Il ne faut pas compter sur Michel Tremblay, Yves Beauchemin ou Arlette Cousture pour mettre en scène des universitaires contemporains. Pourtant, des écrivains d'expression anglaise comme David Lodge ou Philip Roth affectionnent les assemblées facultaires et les bibliothèques feutrées pour camper le décor de leurs romans.
Sous-hommes et maîtresses femmes
L'un des personnages principaux du roman est le vice-doyen Léopold Poulin, un coureur de jupons impénitent qui doit enseigner assis afin de camoufler les érections suscitées par ses regards concupiscents. C'est ce personnage qui, réfléchissant, fait dire au narrateur: «Les campus se féminisaient à une vitesse folle, promettant pour l'avenir une population d'hommes sous-scolarisés et de maîtresses femmes, une nouvelle mouture du matriarcat québécois, avec comme classes sociales des hommes de main et des femmes de tête.»
L'auteur de ces lignes paraît satisfait de la formule. Est-ce vraiment ce qu'il pense? Encore une fois, il nous met en garde: un roman n'est pas un essai rigoureux sur un phénomène social. Mais il admet du même souffle que la féminisation de l'effectif étudiant l'inquiète. «Pourquoi les hommes sont-ils de plus en plus absents des facultés? Je ne connais pas la réponse. C'est un peu mystérieux. L'absence de modèles masculins à l'école est peut-être un problème. On trouve un personnel presque uniquement féminin dans les écoles primaires.»
Les bonnes performances des filles ne constituent pas un phénomène nouveau, rappelle l'historien. Dès le début du siècle, en 1905, alors qu'on permet pour la première fois aux femmes de s'inscrire au cours classique, le meilleur étudiant de l'année est... une femme. Jean-Pierre Charland est conscient, quant à lui, qu'il écrit des romans pour les femmes. « Ce sont majoritairement les femmes qui lisent des livres chez nous. »
Pour l'instant, peu de lecteurs ont livré leurs commentaires à l'auteur de La souris et le rat. «Plusieurs m'ont dit qu'ils liraient le livre durant le temps des fêtes.»
Mais le vice-doyen à la formation initiale des maîtres au premier cycle tient à rassurer ses collègues: il n'a aucune intention de briguer le poste de vice-recteur.
Mathieu-Robert Sauvé
Jean-Pierre Charland, La souris et le rat: petite histoire universitaire, Gatineau, Éditions Vent d'Ouest, 2004, 242 p.