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L'équipe formée d'André Allaf, de Said Khaouam, de Cyrille Lugassy, d'Ali Riza Aksakal et de Bryant Yen semblait apprécier le fait de présenter leur travail de recherche sous forme de communication affichée. |
Le millepertuis peut causer des saignements irréguliers durant le cycle menstruel et réduire l'effet des anovulants. Selon Somalie-Hélène Chuor, Julie Cloutier, Ismaëlle Labbé, France Miller et Julie Perreault, qui se sont intéressées au phénomène, les femmes devraient privilégier un autre type de contraceptif lorsqu'elles consomment cette plante comme traitement naturel de l'anxiété et de la dépression.
Après avoir effectué une recension des écrits scientifiques, elles ont constaté que le millepertuis pouvait provoquer un risque accru de grossesse non désirée chez certaines femmes. «Ce risque varie selon les différences de bagage enzymatique et la concentration du produit dans chaque capsule, explique un des membres de l'équipe. Jusqu'à maintenant, aucune étude clinique n'a été menée pour vérifier les effets toxiques ou pharmacologiques du millepertuis sur la femme enceinte ou le foetus.»
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Julie Perreault, Julie Cloutier, Ismaëlle Labbé, Somalie-Hélène Chuor et France Miller devant leur stand où elles présentent à Forum les résultats de leur recherche sur le millepertuis. |
En Allemagne, où le millepertuis jouit d'une grande notoriété, les médecins l'emploient comme médicament depuis plusieurs années. En Amérique du Nord, son usage n'est permis qu'en tant que supplément nutritionnel, mais on peut s'en procurer en vente libre dans les pharmacies et même chez Loblaw. «Ce n'est pas parce qu'un produit est naturel qu'il ne possède pas de principe actif; il peut s'avérer dangereux lorsqu'il est pris avec des médicaments. Malheureusement, peu de patients révèlent à leur médecin ou à leur pharmacien qu'ils prennent des produits naturels. Et c'est là que réside l'essentiel du problème. Il devient alors difficile de les prévenir des risques éventuels associés à cette double médication», affirme Jean-Louis Brazier.
Forum a pu rencontrer le professeur et les cinq étudiantes de la Faculté de pharmacie à l'occasion d'une exposition publique de travaux effectués dans le cadre du cours «Phytothérapie» (PHM 1220), le 26 novembre dernier. Pas moins de 30 stands d'information avaient été montés dans le Hall d'honneur du pavillon Roger-Gaudry.
Quelque 150 étudiants de troisième année en pharmacie présentaient ainsi leurs travaux de fin de trimestre sous forme de communications affichées. Ceux qui croyaient encore que tout ce qui est naturel est nécessairement inoffensif ont dû bien vite réviser leurs positions.
«Échinacée et prévention du rhume?», «Acides gras oméga-3 et dépression: des preuves?», «Un sommeil garanti avec la valériane?», «Glucosamine et diabète: des risques?», «Soja et ménopause: recherche d'un avis?» sont parmi les sujets qui ont fait l'objet de présentations par les futurs pharmaciens.
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Le professeur Jean-Louis Brazier a vu croître la popularité de son cours sur la phytothérapie: plus de 150 étudiants ont présenté leurs travaux à la communauté universitaire le 26 novembre dernier. |
Un cours très apprécié
L'activité, organisée par le professeur Brazier, titulaire de la Chaire pharmaceutique Famille-Louis-Boivin, avait pour but de mieux préparer les étudiants à la réalité qui les attend dans l'exercice de leurs fonctions. «Ils devront faire de la surveillance et de l'éducation auprès de leurs patients, particulièrement ceux qui souffrent de maladies chroniques, de manière à empêcher les effets indésirables d'une contre-indication.»
Malgré la somme de travail qu'il représente, ce cours suscite un enthousiasme incroyable chez les étudiants. Une équipe a même créé une brochure qui répertorie une dizaine de produits naturels avec leurs effets thérapeutiques reconnus, leurs contre-indications et leurs interactions possibles avec divers médicaments. Martine Bernard, Ève Lamoureux, Marc Leclerc, Marc-André Sauvé et Annie Viau informaient les visiteurs des mythes et réalités des herbes médicinales quant au syndrome prémenstruel.
Une autre équipe formée d'Ali Riza Aksakal, d'André Allaf, de Said Khaouam, de Cyrille Lugassy et de Bryant Yen a affiché le résultat de ses recherches sur les effets de la prise de ginkgo biloba avant une chirurgie. «Il faut savoir que l'utilisation de produits naturels pendant la période préopératoire influe sur la morbidité et la mortalité, car des interactions ou des altérations physiologiques se produisent, signale Cyrille Lugassy. Dans le cas du ginkgo, un anticoagulant, il y a des risques de saignements prolongés. La consommation de ce produit devrait donc être arrêtée au moins 36 heures avant la chirurgie.»
La liste des produits naturels dont il faut se méfier avant une chirurgie ne se limite pas qu'au ginkgo biloba. L'ail, l'éphédra, le ginseng, le kava, la valériane, le millepertuis, l'anis, la camomille, le gingembre et même la vitamine E peuvent nuire à la réussite d'une chirurgie, souligne M. Brazier.
Le professeur était assisté de quatre pharmaciens diplômés de l'Université de Montréal dans l'évaluation des présentations.
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En Amérique du Nord, l'usage du millepertuis n'est permis qu'en tant que supplément nutritionnel. |
La loi et les publicités
Selon Santé Canada, 7 Canadiens sur 10 consommaient un ou plusieurs produits naturels en 2001. Un sondage de Léger Marketing mené la même année révélait pour sa part que 40 % des Québécois considéraient que les médicaments naturels étaient aussi efficaces que les médicaments traditionnels.
«Faute d'information et d'un bon dialogue entre les professionnels de la santé et les patients, les gens se renseignent par la publicité, qui est malheureusement incomplète ou fausse. Et ils croient dur comme fer aux bienfaits des produits naturels», déplore Jean-Louis Brazier. Il donne l'exemple de la publicité de l'Indien Lakota, dont l'animateur Guy A. Lepage se moque régulièrement dans son émission Tout le monde en parle. «C'est à rire, lance M. Brazier. On ne sait même pas de quoi parle cette publicité. Vous le savez, vous?»
Ce qui l'inquiète, ce n'est pas tant la popularité croissante de la médecine dite «naturelle» que le manque d'information et de normes de qualité à son égard. «Actuellement, malgré la loi adoptée en juin 2003, aucune norme de qualité ne régit la préparation des extraits et ne garantit l'efficacité et la sécurité des produits», dit-il. À son avis, cette loi devrait conduire à la standardisation des produits naturels, à un étiquetage approprié, de même qu'à des études scientifiques qui permettront de vérifier leurs effets secondaires, comme on le fait déjà pour les médicaments traditionnels.
«Dans cinq ou six ans, estime le professeur, les produits naturels seront mieux réglementés.»
Dominique Nancy