Édition du 10 janvier 2005 / volume 39, numéro 16
 
  Enfin une étoile à neutrons!
Un astrophysicien de l'UdeM observe des éjections insolites de matière en provenance d'une étoile massive

Alfredo Villar-Sbaffi

En décembre 2001, Alfredo Villar-Sbaffi a observé pendant quatre nuits des éjections insolites de matière en provenance d'une étoile massive située dans le système binaire HD 5980, dans la galaxie du Petit Nuage de Magellan. Dans ce système, on note la présence de deux étoiles chaudes: une étoile appartenant à une catégorie très rare, celle de Wolf-Rayet, riche en atomes de carbone et en hélium, et une étoile de type plus classique qui a récemment été l'objet d'une éruption majeure. Le phénomène mis au jour par l'étudiant au doctorat au Département de physique provient de l'étoile dite Wolf-Rayet, du nom de ses découvreurs. 

«L'étoile que j'ai observée a une masse de 10 à 40 fois celle du Soleil, dit-il. Ses éjections extrêmement rapides étaient orientées parallèlement et perpendiculairement à l'axe orbital du système, ce qui démontre qu'elles étaient réellement liées à l'étoile et non le fruit de fluctuations aléatoires.» Alfredo Villar-Sbaffi donne une explication du phénomène dans un récent article qu'a publié l'Astrophysical Journal.

Alors qu'on s'attend généralement à ce qu'une étoile Wolf-Rayet émette de grandes quantités de matière, de telles explosions spontanées n'avaient jamais été observées dans un système semblable. Le chercheur âgé de 28 ans a d'abord cru à un mauvais fonctionnement de ses instruments. «J'ai effectué des vérifications sur des étoiles standards afin de valider les données, souligne-t-il. Les résultats sont irréfutables.»

Pour expliquer ses observations sans précédent, Alfredo Villar-Sbaffi et ses directeurs de thèse (les professeurs Anthony Moffat et Nicole St-Louis) ont proposé un scénario inédit où une étoile exotique, en orbite autour d'une des étoiles du système et formée entièrement de neutrons, accélère la formation de la matière pour l'éjecter à très grande vitesse. Cette étoile à neutrons, qui tourne très rapidement sur elle-même comme tous les astres de son genre, capture la matière émise par les étoiles et la catapulte dans le milieu interstellaire.

Selon le chercheur, d'autres modèles théoriques pourraient décrire le phénomène, mais «seule l'hypothèse d'une étoile à neutrons est en mesure d'expliquer la vitesse incroyable de la matière éjectée.» De nouvelles données tirées d'observations effectuées par la même équipe en 2002 à l'observatoire Casleo de San Juan, en Argentine, sont présentement en cours d'analyse, mais elles semblent déjà confirmer l'hypothèse des astrophysiciens.

Un article qui marque le coup

Les étoiles de type Wolf-Rayet, dont on ne connaît pas plus de 250 spécimens dans la Galaxie, sont les descendantes d'étoiles extrêmement massives et sont un million de fois plus lumineuses que le Soleil. Mais elles ne vivent qu'un million d'années, comparativement à des milliards pour la plupart des étoiles de notre galaxie. «Dans ces étoiles, presque tout l'hydrogène présent s'est transformé par fusion nucléaire en éléments chimiques plus lourds, comme l'hélium, l'azote et le carbone. Ultérieurement, ces étoiles exploseront en supernovas et s'effondreront sur elles-mêmes pour donner un trou noir», indique Alfredo Villar-Sbaffi.

L'étoile Wolf-Rayet sur laquelle ont porté les travaux de l'étudiant est située à 170 000 années-lumière de la Terre. Au départ, le chercheur avait l'intention de se consacrer entièrement à l'étude de la turbulence des vents stellaires qui émanent des étoiles chaudes et brillantes, un phénomène que le groupe d'astrophysique de l'Université a été parmi les premiers à décrire. Les étonnantes explosions de matière qu'Alfredo Villar-Sbaffi a observées l'ont incité à modifier son projet de recherche. L'étudiant se dit chanceux: «Vous savez, j'aurais pu ne rien voir s'il y avait eu des nuages!»

Après deux années consacrées à l'analyse de ses données, il publiait récemment le premier article de sa thèse. «Discovery of highly dynamic matter enhancements along the polar axis and equatorial plane in the luminous blue variable binary HD 5980» marque le coup. Dans la littérature scientifique, peu de chercheurs, avant M. Villar-Sbaffi, avaient considéré sérieusement l'hypothèse d'une étoile à neutrons pour expliquer le comportement étrange du système HD 5980. «Dans ma recension des écrits, j'ai pourtant trouvé beaucoup d'évidences qui avaient jusqu'alors été ignorées par les chercheurs parce qu'elles ne semblaient pas concorder avec l'image qu'on a de ce type d'étoile», affirme l'étudiant.

Quand il a eu rassemblé toutes ses données, il a aussitôt pensé qu'il devait y avoir une source d'énergie additionnelle dans le système qu'on ne comprend pas encore. «Je me suis dit qu'il existait un compagnon compact, une étoile très énergétique qui a explosé en supernova précédemment et qui a donné naissance soit à un trou noir, soit à une étoile à neutrons. Mais l'hypothèse du trou noir a été réfutée, car aucun rayonnement X d'une grande intensité n'a été remarqué.»

Reste donc la présomption d'une étoile à neutrons... «Toutes les autres possibilités ne sont pas associées à assez d'énergie pour élucider le phénomène», estime Alfredo Villar-Sbaffi.

Dominique Nancy



 
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