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Marie Mc Andrew |
Depuis la fin des années 80, le Canada semble avoir opéré un virage dans sa politique du multiculturalisme en modifiant le type de projets et d’organismes qu’il privilégie dans ses subventions. Le volet culturel des groupes monoethniques a cédé le pas au volet social des organismes multiethniques.
C’est ce qui ressort d’une analyse du financement accordé conformément à cette politique entre 1983 et 2002, analyse dirigée par Marie Mc Andrew, professeure au Département d’administration et de fondements de l’éducation. Les résultats en étaient rendus publics le 10 décembre dernier, au cours d’un débat-conférence au Centre d’études ethniques des universités montréalaises.
Rappelons que la politique du multiculturalisme, adoptée en 1971, visait le soutien aux cultures minoritaires, définies par l’origine nationale, et marquait le désir, pour le Canada, de se distinguer du creuset américain. Les critiques n’ont jamais cessé à l’endroit de cette orientation, à laquelle on a reproché, entre autres, de ghettoïser les minorités, de véhiculer une conception folklorique de l’appartenance et d’encourager le relativisme culturel au détriment des valeurs publiques communes et de l’intégration. Sans oublier la banalisation du fait français, rabaissé au même rang que le folklore ukrainien dans l’ouest du pays.
De mono- à interethnique
L’étude de Marie Mc Andrew, Denise Helly (INRS-Urbanisation, culture et société) et Caroline Tessier (doctorante en sciences de l’éducation) vient toutefois nuancer ces critiques. En fait, la politique sur le multiculturalisme avait déjà changé de cap dans les années 80 en accordant plus d’importance à la sensibilisation de la société d’accueil à l’égard des minorités et, dans les années 90, au renforcement de l’identité canadienne pour contrer la menace souverainiste au Québec.
L’un des constats les plus manifestes est la modification du profil des groupes bénéficiaires de cette politique. En 1983, 36 % des groupes subventionnés étaient des associations monoethniques; celles-ci ne comptaient plus que pour 17 % en l’an 2000. Durant la même période, la proportion de regroupements ou d’organismes multiethniques subventionnés est passée de 41 à 56 %.
Le nombre de groupes non ethniques desservant la population en général a quant à lui connu une légère hausse, passant de 23 à 27 % de l’ensemble. Mais dans cette catégorie, la proportion d’organismes au mandat culturel est passée de 11 à 3 %, alors que celle des groupes au mandat social a grimpé de 9 à 18 %.
L’analyse du type de projets subventionnés est encore plus révélatrice. De 1991 à 2002, le soutien aux langues et cultures minoritaires a été pour ainsi dire abandonné, passant de 5,4 % des projets retenus à 1,3 %. Même chose pour l’appui au fonctionnement des organismes, qui a chuté de 30 à 4 %. La proportion de projets visant l’intégration à la société a diminué de 46 à 21 %. En revanche, les projets destinés à favoriser la «compréhension interculturelle» (sensibilisation du public, résolution de conflits, adaptation institutionnelle) sont passés de 38,6 à 47,8 % et ceux dont le but est de lutter contre le racisme ont augmenté de 9,6 à 29 %.
Plus de 65 % des fonds vont maintenant à des regroupements d’organismes ethnoculturels définis de façon plus large que selon la seule origine nationale et plus de 80 % de l’argent sert à financer des activités destinées à modifier l’opinion publique (lutte au racisme et acceptation de la diversité) ou le fonctionnement d’institutions publiques. Le bénéficiaire de la politique apparait donc comme étant la société dans son ensemble. Autrement dit, on subventionne des groupes ethnoculturels ou des groupes de pression qui ont pour mission de transformer la société majoritaire ou de soutenir le gouvernement dans sa gestion de l’opinion publique, soutiennent les auteures de l’étude.
«On peut se demander si le gouvernement n’est pas en train de faire lentement sombrer la politique du multiculturalisme dans un demi-sommeil, propice à l’oubli, sans qu’aucune annonce officielle ait été faite à cet égard», lit-on dans le rapport de recherche. Les trois chercheuses s’étonnent également de l’absence de réaction du milieu face à cette réorientation de la politique.
On peut aussi se demander si le multiculturalisme ne visait pas qu’à alimenter un discours politique puisque, selon Marie Mc Andrew, l’intégration à la société d’accueil après la troisième génération est la même au Canada qu’aux États-Unis.
Relativisme et cohésion sociale
Les autres critiques adressées à la politique du multiculturalisme semblent moins fondées. L’effet de ghettoïsation, par exemple, est difficilement défendable puisque le financement incite les associations à se regrouper et à interagir avec la société d’accueil. Même chose pour la folklorisation: le soutien aux groupes culturels a été remplacé par celui aux groupes à vocation sociale.
Les auteures de l’étude sont par ailleurs plus réservées quant à la critique formulée à l’endroit du relativisme culturel et du respect des droits fondamentaux. La description des projets de lutte au racisme et de compréhension interculturelle qu’elles ont pu consulter ne permet pas de connaitre la «rhétorique des milieux» sur ces questions ni de désigner une catégorie «cohésion sociale» ou «promotion des valeurs communes». Les chercheuses craignent que ces éléments, inclus dans les orientations politiques de 1995, n’aient pas rayonné au-delà du discours politique.
Daniel Baril