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Sylvie Belleville |
«Pour mémoriser le nom d’un homme qui s’appelle M. Jardin, imaginez sa barbe remplie de fleurs», recommande Sylvie Belleville, chercheuse à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
Selon cette neuropsychologue, exercer son imagerie mentale pourrait être une véritable bouée de sauvetage pour les personnes âgées qui risquent de sombrer dans la maladie d’Alzheimer. Depuis 10 ans, elle conçoit des stratégies de mémorisation dans le but de donner quelques mois, voire quelques années, de répit aux futurs malades. Et ses résultats sont prometteurs.
Un grand nombre de gens âgés se plaignent de troubles de mémoire. Bien sûr, tous ne souffrent pas de la maladie d’Alzheimer. Mais une personne sur quatre en sera atteinte à 85 ans. De plus en plus, les scientifiques apprennent à prévenir la maladie. Certains individus se situent ainsi dans une zone floue caractérisée par des «troubles cognitifs légers» (mild cognitive impairment ou MCI). «Ils payent plusieurs fois la même facture ou oublient systématiquement un achat d’une liste de courses», fait observer Sylvie Belleville. Ces gens se trouvent légèrement au-dessous des normes dans les tests cognitifs. Ils représentent environ 12 % de la population âgée et ont entre 70 et 80 % de risques de souffrir à terme d’une quelconque forme de démence.
Cartographie de la mémoire
Sylvie Belleville s’est donné pour tâche d’entretenir la mémoire de ces sujets à risque bien qu’encore autonomes. Son but: améliorer la qualité de vie de ces personnes et retarder le plus possible l’apparition de la maladie. Les patients suivent des séances d’entrainement de leur mémoire axées sur la confiance en soi, la gestion du stress, l’imagerie mentale, l’attention et les différents moyens de mieux se souvenir d’une information. «Nous faisons aussi appel aux connaissances intellectuelles des individus afin qu’ils encodent le plus richement possible les nouveaux éléments d’information», remarque-t-elle.
Une trentaine d’hommes et de femmes chez qui ont été diagnostiqués des MCI ont déjà pris part à ces séances par petits groupes de quatre ou de cinq. «Après huit séances, les sujets ont de bien meilleures notes aux tests de mémoire et leur bien-être est plus grand: ils sont moins déprimés», affirme la neuropsychologue.
Ces résultats sont visibles aussi à l’intérieur de leur cerveau. «Quand nous effectuons un travail de mémoire, nos neurones produisent des ondes électriques particulières, indique Sylvie Belleville. En posant un casque rempli d’électrodes reliées à un moniteur sur le cuir chevelu d’une personne, nous visualisons ces ondes et pouvons évaluer ses capacités de mémorisation.»
Un écran présente au patient des stimulus qu’il doit mémoriser. Quand un mot est bien encodé dans la mémoire, les neurones d’un sujet sain émettent une onde spécifique appelée «onde tardive positive». Cette onde est moins ample, voire inexistante, chez les personnes atteintes de troubles cognitifs légers. «Nous l’avons pourtant vue réapparaitre chez les individus souffrant de MCI qui ont suivi notre programme», se réjouit la chercheuse.
Retarder les symptômes
Encore faudrait-il pouvoir faire la différence entre les sujets qui développeront inéluctablement la maladie et ceux dont l’état va rester stable. C’est l’autre champ de recherche de Sylvie Belleville: «Nous cherchons à affiner les outils de diagnostic de MCI afin de ne pas déclarer à haut risque d’Alzheimer des personnes qui ne souffriront jamais de la maladie», dit-elle.
La chercheuse voudrait ainsi suivre un groupe de patients atteints de MCI sur plusieurs années. À la première rencontre, ces individus passent une batterie de tests cognitifs et d’électroencéphalogrammes de leur cerveau. Ils sont revus tous les six mois. «Après trois ou quatre ans, notre groupe sera composé de personnes atteintes de démence et d’autres dont l’état se sera stabilisé. Nous analyserons de nouveau leur dossier et espérons repérer à postériori certaines différences entre les deux groupes», explique la chercheuse.
Sylvie Belleville compte ainsi mettre au point un outil diagnostique puissant de sujets «pré-Alzheimer» qui s’appuiera sur des tests tant cognitifs que neurobiologiques. Cette approche évitera aussi aux médecins de pathologiser à outrance le processus naturel du vieillissement.
Isabelle Cuchet
Collaboration spéciale