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Victor Piché |
«Dans le domaine de la santé des populations, la position américaine est catastrophique», dénonce Victor Piché, professeur au Département de démographie et porte-parole d’Action Canada pour la population et le développement (ACPD).
Depuis que l’administration américaine a rayé de son financement humanitaire les pays qui autorisent l’avortement thérapeutique, les Européens ont dû hausser leurs cotisations au Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). Mais dans le milieu de l’aide internationale, on considère cette décision comme aberrante. «L’avortement clandestin est un problème de santé majeur dans certains pays en développement, commente M. Piché, lui-même spécialiste de l’Afrique, où il se rend une dizaine de fois par année. C’est pourquoi une des tâches des coopérants consiste à informer les femmes des endroits où elles peuvent recevoir des soins qui ne mettent pas leur vie en danger. Mais agir ainsi n’équivaut pas à “faire la promotion de l’avortement”, comme l’administration Bush le reproche à l’UNFPA.»
Une commission indépendante, formée de républicains et de démocrates, s’est rendue récemment en Chine, où circulaient des rumeurs à propos de cette prétendue «promotion de l’avortement». Leur rapport, rendu public en 2004, démontre que la République populaire ne favorise en rien cette pratique. «Malgré cela, le gouvernement de George W. Bush ne semble pas vouloir revenir sur sa position et cela nous désespère», confie M. Piché.
Position contestée
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Les États-Unis aident les pays qui refusent l’avortement. |
La position américaine en matière de contraception dans les pays en développement est contestée aux quatre coins du monde. «Les États-Unis ne reconnaissent qu’un moyen de contraception: l’abstinence. Résultat: les pays qui font la promotion du condom comme contraceptif sont également exclus des programmes humanitaires américains. C’est proprement ridicule quand on connait les ravages que fait le sida, particulièrement en Afrique», lance le démographe.
La Conférence internationale sur la population et le développement déplore ses limites budgétaires: les pays donateurs verseront d’ici 2005 quelque 6,1 G$, assurant à peine le tiers des besoins. «Avec la pandémie VIH/sida, des besoins additionnels apparaissent, en particulier celui d’un approvisionnement garanti et suffisant en produits de santé en matière de reproduction, notamment de préservatifs masculins et féminins», peut-on lire dans son dernier rapport, État de la population mondiale 2004.
Les budgets de l’aide internationale sont déjà insuffisants; quand le pays le plus puissant et le plus riche du monde se retire du programme pour des raisons d’ordre idéologique, cela choque les coopérants. En participant à l’ACPD, l’universitaire joue un rôle de sensibilisation et de lobbying auprès des décideurs politiques. «L’ACPD, dit son site Web, a pour but global d’amener le gouvernement canadien à prendre des mesures concrètes pour respecter ses engagements de 1994 dans le Programme d’action du Caire.» L’organisme travaille à promouvoir l’engagement de la population à l’égard des enjeux internationaux quant à la population et au développement. Organisation à caractère non partisan, l’ACPD met l’accent sur les relations entre la croissance et la structure démographiques, l’environnement, la surconsommation, la pauvreté, la santé et les droits dans les domaines de la sexualité et de la reproduction, l’équité et l’égalité entre les sexes, les droits de la personne, la migration, l’économie et d’autres enjeux liés au développement.
De l’espoir
En dépit des problèmes démographiques auxquels l’Afrique est confrontée, Victor Piché garde espoir. «Si l’on fait exception de l’épidémie de sida qui est venue frapper durement plusieurs pays africains, on a noté une amélioration constante des conditions de santé. La mortalité infantile, par exemple, était en baisse grâce à différents programmes de vaccination.»
Malheureusement, une autre menace pèse sur les communautés d’Afrique: la guerre. «Les conflits armés font perdre d’un coup des années d’efforts sur le plan de la santé publique. Ainsi au Rwanda, les programmes de coopération mis en place par le Canada avaient connu plusieurs succès. Tout cela a pour ainsi dire disparu à la suite du génocide.»
Mince consolation, le sida ne fait pas autant de ravages en Afrique francophone qu’en Afrique du Sud ou en Ouganda. «Il y a de l’espoir sur ce continent, c’est sûr. Sinon, nous ne serions plus là depuis longtemps», observe M. Piché.
Mathieu-Robert Sauvé