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Les conditions de travail varient considérablement selon que le professeur travaille sur le campus ou dans des établissements de santé. |
Les membres des facultés de médecine qui enseignent dans des hôpitaux universitaires auraient des conditions de travail moins avantageuses que les professeurs qui enseignent sur le campus. Telle est la conclusion du groupe de travail qui a rédigé récemment un rapport publié par l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU). Le groupe de travail s’est plus particulièrement penché sur la liberté d’enseignement des professeurs en milieu hospitalier.
L’ACPPU a d’ailleurs constaté qu’un nombre sans cesse croissant d’universitaires canadiens lui font part de leurs préoccupations au sujet des conditions de travail dans les hôpitaux affiliés à des universités, notamment pour ce qui est de l’ingérence des directions quand il s’agit de mener des recherches, de parler librement et de transmettre les résultats de recherches aux patients et aux collègues.
Le groupe de travail, composé de cinq sommités du corps médical enseignant, a remis un rapport de 36 pages à la fin de l’année 2004. Selon ses auteurs, les professeurs de clinique sont souvent exclus des conventions collectives conçues pour protéger les universitaires. Il existerait peu d’organismes de représentation assurant la défense de leurs droits et ils se retrouveraient piégés dans les structures de plus en plus «organisationnelles» des établissements de santé dans lesquels ils travaillent.
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Serge Dubé |
S’il existe des regroupements chargés de représenter les professeurs de clinique – comme l’Association canadienne de protection médicale ou les collèges de médecins –, ils ne prétendent cependant pas assumer de fonction d’intercession politique ou de protection de la liberté d’enseignement.
Les auteurs du rapport recommandent ainsi non seulement que les établissements de soins de santé énoncent clairement les droits à la liberté d’enseignement, mais également qu’ils aillent au-delà de l’engagement écrit. Ils invoquent à cet effet le cas aujourd’hui bien connu de Nancy Olivieri, chercheuse à l’Université de Toronto. Mme Olivieri avait découvert au cours d’une recherche que le médicament qu’elle testait auprès de patients présentait des risques initialement insoupçonnés. Elle avait alors voulu obtenir un nouveau consentement des patients, après les avoir informés de ces risques. Mais la compagnie pharmaceutique qui finançait la majeure partie de l’étude de l’hôpital universitaire refusa. Mme Olivieri alerta les médias.
Le rapport fait également mention du cas de David Healy. Celui-ci a vu l’un des hôpitaux universitaires affiliés à l’Université de Toronto abolir le poste qu’il devait occuper après qu’il eut prononcé une conférence où il critiquait l’influence des compagnies pharmaceutiques sur l’Université et où il faisait état de ses recherches sur la possibilité que certains antidépresseurs aient provoqué des suicides.
Des incidents nombreux
Les auteurs du rapport affirment qu’il se produit beaucoup d’incidents qui ne parviennent pas à l’attention du public. «Plusieurs autres affaires où étaient en cause des professeurs de clinique pénalisés, au cours des dernières années, pour avoir exprimé des inquiétudes quant à l’orthodoxie prédominante dans leur spécialité, critiqué les décisions administratives prises dans leur établissement, remis en question les priorités de leurs collègues ou défendu le droit à la liberté d’enseignement de leurs homologues, ont été dissimulées au grand public.»
Plusieurs des recommandations formulées dans le rapport visent d’ailleurs à placer le personnel médical universitaire ainsi que les chercheurs et les enseignants non cliniciens sur un pied d’égalité.
Les auteurs recommandent également de garantir la sécurité de revenu et la sécurité d’emploi des professeurs de clinique, de leur ménager un accès à la «justice naturelle», vu l’absence de mécanismes efficaces de résolution des différends, ainsi que de consolider leur représentation.
Le groupe de travail prévoit maintenant se rendre dans chaque faculté de médecine canadienne, y compris celle de l’Université de Montréal, afin de discuter du rapport avec les professeurs de clinique.
Le rapport fait d’ailleurs état de la convention collective intervenue entre l’Université et ses professeurs de clinique – laquelle protège toutefois seulement 140 professeurs et exclut les quelque 1800 universitaires affiliés à l’UdeM.Serge Dubé, vice-doyen de la Faculté de médecine du campus, reconnait quant à lui l’utilité du rapport. Il se demande cependant si ses auteurs ne surestiment pas l’influence de l’université sur l’hôpital. Il s’efforce en ce moment même de mieux comprendre les problèmes avec lesquels les professeurs de clinique doivent composer. Accompagné d’autres membres de la direction de la Faculté, il a entrepris de consulter tous les professeurs de clinique pour mieux cerner les problèmes en question.
«On aimerait avoir de meilleurs liens avec les cliniciens. Mais cela implique-t-il de leur accorder la permanence dans les hôpitaux?»
Avant d’être nommé vice-doyen, le Dr Dubé a travaillé 23 ans sans être protégé par une convention collective et sans voir sa liberté d’enseignement menacée d’aucune façon. Les cliniciens ont à son avis beaucoup d’autonomie pour choisir les traitements des patients et effectuer leurs recherches. Il a toutefois été témoin de frustrations, pour la plupart causées par un système qui ne rémunère pas bon nombre de médecins pour leur enseignement ou ne leur confère aucune protection par l’entremise d’une association. Il espère que le processus de consultation, lancé le 12 janvier, permettra d’améliorer la situation.
Philip Fine
Traduit de l’anglais par Jacynthe Juneau
Il est possible de télécharger le rapport à l’adresse <www.caut.ca/fr/enjeuxacademicfreedom/DefendingMedicineFr.pdf>.