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La Dre Renée Fugère |
En prison, les détenues qui souffrent d’un trouble de personnalité limite font souvent des crises qui perturbent les autres prisonnières. Leur comportement autodestructeur ou suicidaire peut nécessiter une intervention d’urgence de la part des intervenants de première ligne, ce qui aggrave parfois la détresse de ces femmes.
Pour répondre aux besoins de ces détenues, l’Institut Philippe-Pinel a ouvert en mai dernier l’Unité d’évaluation et de traitement pour femmes. D’une capacité de 15 lits, cette clinique qui relève du fédéral reçoit des détenues non seulement du Québec, mais aussi de toutes les régions du Canada. «Nous avons trois mandats principaux, précise la Dre Renée Fugère, responsable de l’Unité et professeure adjointe au Département de psychiatrie. D’abord, à la demande des établissements, nous procédons à l’évaluation des détenues. Ensuite, nous accueillons des femmes qui sont en crise pour leur offrir un traitement.» Le dernier volet est la participation des prisonnières au programme pour personnes atteintes d’un trouble grave de la personnalité qui fait appel à la thérapie béhavioriste dialectique inspirée du modèle de Marsha Linehan.
Les détenues admises à l’unité de l’Institut Philippe-Pinel le sont de leur plein gré. Certaines souffrent d’un trouble de personnalité antisociale, mais la plupart d’entre elles reçoivent un diagnostic de trouble de personnalité limite ou TPL.
«Les femmes qui ont un trouble de personnalité limite ont très peu de structures internes et éprouvent de la difficulté à gérer leurs émotions, fait remarquer la Dre Fugère. Elles se portent souvent aux extrêmes dans leurs relations ou dans leurs comportements. Elles ont une hantise de l’abandon et s’accrochent aux gens avec qui elles vivent des relations interpersonnelles. Elles testent sans cesse leurs amis et partenaires pour connaitre leurs limites. Puisqu’elles ont une pauvre image d’elles-mêmes, les débordements d’émotions entrainent souvent des attitudes autodestructrices ou suicidaires. Les patientes peuvent également faire preuve de violence à l’égard d’autrui.»
Femme ou homme?
Les autres symptômes de la maladie incluent des pertes de contact ponctuelles avec la réalité, en situation de stress par exemple, et des problèmes d’identité liés au genre. Sans mettre en cause leur préférence sexuelle, les malades s’interrogent à savoir s’ils sont une femme ou un homme.
Même si, en psychiatrie, on ne parle pas de troubles de la personnalité avant l’âge de 18 ans, on peut distinguer dès l’enfance ou l’adolescence des tempéraments susceptibles de développer un TPL. «Les jeunes ont des troubles de comportement et des accès de colère, indique la Dre Fugère. Ils font souvent preuve de cruauté envers leurs pairs, les adultes ou les animaux. Ils vont se placer dans des situations dangereuses en conduisant imprudemment par exemple, en abusant de drogues ou en ayant plusieurs partenaires sexuels sans se protéger.»
L’origine du TPL fait l’objet de débats au sein de la communauté scientifique. «Certains spécialistes croient que le trouble est uniquement lié à des facteurs psychosociaux alors que d’autres pensent qu’il a des causes génétiques, signale la Dre Fugère. Les théories les plus récentes parlent d’une maladie biopsychosociale qui se développe en fonction des prédispositions génétiques et de l’environnement.
Crimes graves
Condamnées pour des crimes graves dont des meurtres, des incendies criminels et des vols qualifiés, les patientes de l’Unité d’évaluation et de traitement pour femmes de l’Institut bénéficient des services de la Dre Fugère et de ceux d’un neuropsychologue et d’un criminologue. En groupe, les femmes apprennent à maitriser certains outils nécessaires à la résolution de problèmes et à la gestion de leurs émotions ou relations interpersonnelles. Les détenues apprennent aussi à tolérer une certaine part de détresse. «Au cours de la thérapie, on réalise qu’il y a des choses qu’on peut changer et d’autres qu’on doit laisser tomber», dit la Dre Fugère.
Une fois par semaine, les femmes rencontrent individuellement la thérapeute, qui insiste principalement sur la nécessité de réduire les gestes d’automutilation et l’importance de poursuivre le traitement. La prisonnière peut toutefois choisir de quitter le programme et de retourner dans son établissement d’origine à n’importe quel moment. Les femmes qui auront été traitées ou dont le comportement se sera sensiblement amélioré pourront éventuellement purger leur peine dans les pénitenciers régionaux et profiter d’une libération conditionnelle. «Le criminologue qui travaille dans notre équipe a pour tâche d’évaluer le risque de récidive», explique la Dre Fugère.
Il est trop tôt pour savoir si les détenues qui participent au programme ont entièrement réussi à contrôler leurs symptômes.
La thérapie s’échelonne habituellement sur six mois. «Certaines femmes sont ici depuis l’ouverture et progressent bien, observe la Dre Fugère. D’autres ont choisi de partir. D’autres encore sont parties puis revenues par la suite.»
La psychiatre, qui a traité des centaines d’hommes et de femmes aux prises avec un TPL avant la création de cette unité, affirme que plusieurs ont réussi à s’en sortir. «L’approche comportementale dialectique, que nous utilisons, a fait ses preuves. Elle a été élaborée dans les années 90 par des chercheurs américains et est maintenant utilisée partout dans le monde.»
La psychiatre compte entreprendre des travaux de recherche sous peu. Entre autres sujets, elle s’attaquera aux différences qui existent entre les hommes et les femmes souffrant d’un TPL. «On sait qu’environ 60 % des personnes atteintes sont des femmes, souligne-t-elle. Mais on ne comprend pas pourquoi elles sont majoritaires et ce qui les différencie sur le plan des symptômes et du traitement. J’aimerais fouiller un peu cette question.»
Dominique Forget
Collaboration spéciale