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Christian Nadeau et Stéphane Leman-Langlois |
Ceux qui considèrent que le principe de justice réparatrice est quelque peu fumeux n’auront pas été confondus par le débat organisé sur ce thème par le Centre international de criminologie comparée le 2 février. Si le principe honorable s’avère difficile à appliquer dans les cas de crimes de droit commun, il prend des allures de «science-fiction» lorsqu’on est en présence de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.
Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie, spécialiste de morale politique et de philosophie du droit, n’en croit pas moins que la justice réparatrice est un outil d’analyse pertinent pour établir les degrés de responsabilité dans les cas de crimes de guerre et même pour contrer l’inaction de la communauté internationale.
Répartir la responsabilité
«La justice réparatrice est mal perçue parce qu’on y voit l’utilisation du droit pour servir la morale», reconnait d’emblée Christian Nadeau. Le professeur s’appuie sur les travaux de John Braithwaite, professeur de droit de renommée internationale, pour redonner à ce principe sa véritable portée.
Pour John Braithwaite, les comportements ne sont ni intrinsèquement moraux ni intrinsèquement immoraux; ils font l’objet d’approbation ou de désapprobation au sein d’une société. Le crime, qui est une transgression du code social établi, dépasse le seul geste du criminel; il est l’épiphénomène de la destruction du lien social.
Pour contribuer à la réinsertion du coupable, John Braithwaite mise entre autres sur la honte ressentie par le criminel quant au tort causé à autrui afin de l’amener à comprendre la nécessité de réintégrer la société, une perspective à laquelle souscrit le professeur Nadeau.
Alors que la justice traditionnelle s’arrête au lien causal entre le crime et la responsabilité du criminel, le principe de la justice réparatrice, qui cherche à réparer le tort, repose sur l’idée que la responsabilité est beaucoup plus complexe et qu’elle doit être distribuée entre les divers échelons et institutions d’une société.
Mais ceci ne doit pas conduire à déresponsabiliser le criminel et encore moins à le voir comme une victime du contexte social. Mais comment réparer? Comment aider la victime? Le philosophe reconnait que la justice réparatrice est davantage utile pour analyser le problème que pour trouver des solutions.
Dans le contexte de crimes contre l’humanité, comme ceux de l’Allemagne nazie, du Rwanda, de la Bosnie ou du Darfour, la situation se complique du fait que le crime est collectif et qu’il est commandé par l’autorité. Qui est responsable? Autant celui qui tient la machette que celui qui incite à la haine ou qui n’intervient pas, estime Christian Nadeau.
La non-intervention de la communauté internationale auprès des populations vulnérables qui ont besoin d’aide la rend donc responsable du sort que subissent celles-ci. Le professeur considère par conséquent comme inconvenante la conduite de cette communauté internationale qui, dans le cas du Darfour par exemple, demande justice alors que son inaction a contribué au crime et qu’elle se perçoit en dehors du problème.
Cette attitude est encore plus manifeste – caricaturale selon le terme du professeur – dans le cas des États-Unis, qui tirent profit de la situation politique internationale tout en refusant de signer les accords sur l’établissement d’un tribunal pénal international. «Ils veulent le beurre et l’argent du beurre», déclare le philosophe.
Entre théorie et pratique
«On fait quoi avec ça dans la pratique?» a demandé Stéphane Leman-Langlois, professeur à l’École de criminologie, qui donnait la réplique à son collègue du Département de philosophie.
«Qui va porter la honte au Rwanda quand la plupart sont fiers d’avoir fait ce qu’ils ont fait et qu’ils sont bien intégrés à leur groupe? La communauté, a-t-il ajouté, ça n’existe pas: ce qui existe, ce sont des groupes en lutte pour le pouvoir.»
Étant donné que nous en sommes encore à nous questionner sur ce qu’est un génocide ou un crime contre l’humanité, se demander comment intervenir pour prévenir ces crimes devient «de la science-fiction», a déclaré en substance le criminologue.
La notion de responsabilité collective lui apparait en outre comme un argument permettant à un État d’occulter ou de déjouer les réclamations des victimes ou des insatisfaits.
Daniel Baril