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Alain Tremblay |
Les écologistes qui s’opposent à la construction de grands barrages hydroélectriques font valoir, entre autres arguments, que les bassins créés par ces barrages contribuent à l’émission de gaz à effet de serre (GES). Selon les connaissances actuelles, les émissions de gaz carbonique (CO2) dans les zones immergées sont comparables à celles des lacs naturels 10 ans après la mise en eau. Mais en zones tropicales, ces bassins s’avèrent plus polluants que ceux des zones boréales à cause du méthane qu’ils libèrent.
Voilà deux des principales conclusions qui ressortent de l’ensemble des données nouvellement recueillies sur les émissions de GES par les bassins hydroélectriques. Ces données sont réunies dans un ouvrage collectif auquel ont contribué des dizaines de chercheurs de plusieurs pays, dont quatre de l’Université de Montréal (voir l’encadré), et qui vient d’être publié sous le titre Greenhouse Gas Emissions: Fluxes and Processes (Springer, 2004).
L’auteur principal, Alain Tremblay, chercheur à Hydro-Québec, en a présenté la synthèse à une conférence midi organisée le 31 janvier au Département de sciences biologiques.
Zones boréales et zones arides
Les données indiquent que les bassins hydroélectriques en régions boréales émettent 35 fois moins de GES que les centrales au gaz naturel et 80 fois moins que les centrales au charbon! Au Québec, 97 % de l’électricité provient de l’énergie hydraulique, alors qu’aux États-Unis près de 70 % de l’électricité est produite par la combustion du charbon. Nos barrages ne contribueraient que pour 0,4 % des émissions de CO2, les sources les plus importantes étant le transport (38 %) et l’industrie (32,5 %).
Le CO2 des bassins hydroélectriques vient de la décomposition de la matière organique immergée. Plusieurs facteurs influent sur la quantité de CO2 émise par un lac de barrage, a expliqué Alain Tremblay: l’âge du réservoir, sa superficie, sa forme, la température de l’eau, son temps de séjour dans le bassin et la nature des bassins versants.
Les bassins de la Colombie-Britannique, par exemple, émettent proportionnellement moins de GES que ceux du Québec parce que leur superficie est moins étendue et que leurs parois et leurs fonds sont rocheux plutôt que constitués de tourbières ou de forêts. En raison d’un pH élevé, certains bassins de la Colombie-Britannique contribuent même à l’absorption du CO2 dans l’air.
Les bassins en zones tropicales, ou arides comme dans le sud des États-Unis, émettent moins de CO2 que ceux des zones boréales. Par contre, ils émettent plus de méthane à cause de la température élevée de l’eau. «Lorsqu’il fait 25 °C à l’année, le faible taux d’oxygène dans l’eau empêche le méthane de s’oxyder, indique Alain Tremblay. Il est libéré dans l’air à la surface du bassin ou à la décharge dans les cascades d’oxygénation de l’eau.»
La quantité de méthane libérée par ces barrages est plus faible que la quantité de CO2 en zones boréales, mais l’effet de serre attribué au méthane est 30 fois supérieur à celui du CO2. Contrairement au gaz carbonique, ce méthane n’aurait pas été libéré dans l’air sans la présence des barrages.
Zooplancton, réchauffement climatique et carbone |
Deux équipes de chercheurs de l’UdeM ont contribué par leurs travaux à l’ouvrage collectif Greenhouse Gas Emissions.
La professeure Bernadette Pinel-Alloul, du Département de sciences biologiques, et son agente de recherche Ginette Méthot ont étudié l’effet de la mise en eau des barrages sur la quantité et la diversité du zooplancton. Des prélèvements effectués dans les bassins de la Baie-James montrent, trois ans après la mise en eau, une concentration du zooplancton de trois à quatre fois supérieure à celle observée dans un lac naturel de la même région.
«Après cinq ans, la concentration était presque revenue à la normale», souligne Mme Méthot.
De leur côté, le professeur François Courchesne, du Département de géographie, et son agente de recherche Marie-Claude Turmel présentent l’état des connaissances sur l’effet du réchauffement climatique sur le stockage du carbone dans le sol. «Deux grandes théories s’opposent, constate M. Courchesne. Certains soutiennent que, en raison de l’accroissement quantitatif des végétaux dû à l’effet de serre, le sol va emmagasiner plus de carbone alors que d’autres affirment que le réchauffement va stimuler l’activité microbienne qui, elle, va libérer du carbone. Il n’y a pas de consensus sur le sujet.»
Les travaux qu’il a lui-même réalisés sur 10 ans à la Station de biologie des Laurentides montrent une tendance à l’augmentation des émissions de carbone organique dissout lorsqu’une précipitation suit une période sèche. Ceci s’explique par l’accumulation de matière organique dans le sol engendrée par l’absence de ruissellement.
D.B. |
Débat animé
Les données révèlent également que c’est surtout dans les premières années de la mise en eau qu’un bassin de barrage émet de grandes quantités de CO2 à cause de l’abondance de la matière organique subitement immergée. «Après 10 ans, le taux d’émission d’un bassin hydroélectrique en zone boréale est le même que celui d’un lac naturel dans la même zone», fait observer Alain Tremblay.
Après cette période, il y a encore des émissions de GES parce que l’eau du bassin est saturée de CO2 et qu’elle continue d’en recevoir par les eaux de ruissellement. Que le fond du bassin soit constitué de tourbière ou de podzol de la forêt boréale ne change pas la quantité de CO2 émise.
Tout en affirmant que les données présentées n’avaient rien à voir avec une opération de relations publiques d’Hydro-Québec, Alain Tremblay a soutenu que les bassins hydroélectriques sont donc comparables aux lacs naturels.
Cette façon de voir a provoqué un vif débat dans l’assistance, les professeurs présents ne voyant pas les choses de la même manière. «Les barrages contribuent à l’augmentation du CO2 dans l’air puisqu’ils créent de nouveaux lacs ou qu’ils multiplient la superficie des terres inondées», a fait valoir Pierre Legendre, professeur au Département de sciences biologiques.
Mais comme la forêt émet aussi du CO2 par la décomposition de la matière organique, il n’y a pas de différence, sur une période de 100 ans, entre une forêt à l’air libre et une forêt inondée, a rétorqué le chercheur.
La comparaison serait erronée puisque la forêt à l’air libre absorbe du CO2 alors que le lac de barrage en est saturé et ne peut plus en absorber.
Sans nier la chose, Alain Tremblay estime toutefois que la contribution des barrages hydroélectriques à cette augmentation serait négligeable à l’échelle du Québec puisque les barrages n’ont augmenté la superficie d’eau que de deux à trois pour cent.
Daniel Baril