De nos jours, le mot «sondage» est tellement galvaudé qu’il inclut n’importe quel type d’enquête: sondage maison, vox pop, étude de marché, sondage éclair, sondage d’opinion... Toutes ces enquêtes n’ont pas la même valeur. «Plusieurs informations peuvent permettre de faire la différence entre vrais et faux sondages, entre bons et moins bons sondages: la présence d’un échantillon aléatoire, la durée de la collecte et le taux de réponse, la qualité des questions, entre autres. De plus, un bon sondage doit mesurer l’opinion, pas la créer; il faut donc que les gens soient informés pour pouvoir se prononcer», soutient Claire Durand, professeure au Département de sociologie et spécialiste de la méthodologie des sondages.
Selon la sociologue, la prise de décisions politiques ne peut pas se baser uniquement sur les sondages, aussi bons soient-ils. Elle cite l’exemple de la peine de mort, votée à la Chambre des communes le 14 juillet 1976 par 130 voix contre 124. «Aucun gouvernement n’a aboli la peine de mort avec une majorité de la population à l’appui. En fait, ce n’est que des années après cette abolition qu’il s’est dessiné dans les sondages au Canada une majorité contre la peine de mort. Si les gouvernements s’étaient appuyés sur l’opinion publique, la peine de mort existerait probablement encore au pays.»
La professeure n’a pas suivi les sondages sur le mariage gai mais, d’après elle, il s’agit également d’un bon exemple du droit des minorités où l’opinion publique, telle que mesurée par les sondages, ne devrait pas être le principal critère de décision des politiciens.
Mais les sondages influencent-ils les gens? Certains croient que non. Mais pour plusieurs, cette influence est devenue difficile à nier. «Toutefois, à partir du moment où l’on peut penser que les sondages ont une influence, il faut regarder encore plus attentivement la manière dont ils sont effectués», souligne Claire Durand, qui entreprendra sous peu un projet de recherche sur l’influence des sondages et la confiance que la population a face aux sondages publiés.
Dans un billet qu’elle a rédigé pour le journal Le Devoir en juin dernier, Mme Durand rappelle que la possibilité que les sondages influencent les campagnes et, éventuellement, le vote des électeurs a mené le gouvernement canadien à légiférer sur la publication des sondages électoraux. «La nouvelle loi canadienne de 2000 fait obligation aux médias de donner des renseignements d’ordre méthodologique de façon à permettre au lecteur informé et aux experts de juger de la qualité des sondages publiés», écrit la sociologue. Son analyse montre que la loi n’est pas respectée par les médias. «La situation est la même qu’en 1997, avant l’entrée en vigueur de la loi, affirme la professeure Durand. Quoique des sanctions soient prévues par la loi, personne à Élections Canada ne semble s’être préoccupé de la faire respecter.»
Une chose est en tout cas certaine: depuis la Deuxième Guerre mondiale, la présence des sondages dans le débat public n’a fait qu’augmenter, « d’où l’importance de scruter les méthodologies utilisées et leur fiabilité», conclut Mme Durand.
Dominique Nancy