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Gilles Brassard |
«Best-kept Secrets» («Les secrets les mieux gardés»). Voilà le titre qui accompagne l’illustration de couverture du numéro de janvier 2005 du magazine Scientific American. Dans son dossier du mois, la publication nous apprend que la cryptographie quantique est «passée de la théorie au laboratoire et aux produits réels».
L’auteur du dossier, Gary Stix, relate qu’un prototype mis au point au milieu des années 80 par Charles Bennett, chercheur chez IBM, et Gilles Brassard, de l’Université de Montréal, a «ouvert la voie à un bon nombre de produits commerciaux». Au moins quatre entreprises (à Genève, New York, Tokyo et Farnborough, en Angleterre) vendent des systèmes faisant appel à la cryptographie quantique, une technologie qui rend les communications inviolables.
«L’idée de base est fort simple, explique Gilles Brassard, professeur au Département d’informatique et de recherche opérationnelle. Elle s’appuie sur le principe d’incertitude d’Eisenberg, voulant qu’on ne puisse mesurer des propriétés quantiques sans les modifier. Si un espion tente d’intercepter un message cryptographié, il laisse donc une trace.»
Il existe actuellement sur Internet plusieurs systèmes de protection destinés à assurer la confidentialité des échanges. Mais l’avènement à grande échelle de la cryptographie quantique les éclipserait rapidement. «Avec les systèmes actuels, il est impossible de savoir si un espion intercepte des données. La nouvelle technologie présente donc un avantage majeur», mentionne l’informaticien.
Un génie de l’ordinateur
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Gilles Brassard et son collègue américain Charles Bennett font la une de Scientific American pour la deuxième fois en 13 ans. |
C’est la deuxième fois en 13 ans que les chercheurs font la une de Scientific American, la plus ancienne revue de diffusion scientifique aux États-Unis, dont le tirage mensuel total atteint le million d’exemplaires, en 15 langues. C’est d’autant plus surprenant que Gilles Brassard n’en savait rien avant de tomber sur ce numéro dans un kiosque à journaux il y a quelques semaines...
L’invention de la cryptographie quantique résulte de la rencontre de deux savants qui avaient beaucoup à s’apporter mutuellement. Comment s’est déroulé le premier contact? «Dans l’eau», répond Gilles Brassard en riant. «Charles Bennett, que je ne connaissais pas le moins du monde, est venu vers moi, en nageant, et m’a dit qu’il savait comment utiliser la mécanique quantique pour fabriquer des billets de banque impossibles à contrefaire.»
C’était en 1979, sur une plage de Porto Rico. Mais si Gilles Brassard ignorait qui était Charles Bennett, celui-ci savait à qui il s’adressait. Les deux hommes assistaient à un congrès international et Gilles Brassard, âgé alors de 24 ans, devait donner une conférence sur la cryptographie. Charles Bennett avait lu le programme.
Entre les deux hommes, la collaboration a été fructueuse et leurs premières publications paraissent en 1982. À cette époque où les courriels n’existent pas, Charles Bennett, titulaire d’un doctorat en chimie mais surtout connu pour ses travaux en physique, fait plusieurs fois le trajet entre Yorktown et Montréal, et Gilles Brassard, informaticien reconnu pour ses travaux en cryptographie, rend lui aussi visite à son collègue américain. Au moins deux fois par année, les chercheurs se rencontrent et discutent. Ils mettent d’abord au point un modèle théorique, le «BB 84» (pour «Bennett-Brassard 1984»), qui préfigure la fabrication d’un prototype cinq ans plus tard: le BB 89. «Nous l’avons construit dans son bureau, avec l’aide d’un de ses étudiants, John Smolin. Deux des miens, François Bessette et Louis Salvail, ont conçu le logiciel permettant de le faire fonctionner.»
Pour l’un comme pour l’autre, la question de la cryptographie quantique est intéressante, mais ne constitue qu’un volet, relativement mineur, de leurs travaux de recherche. Ils n’ont déposé aucun brevet d’invention.
La confidentialité absolue
Les chercheurs ont élaboré un système de clés qui assure la confidentialité absolue des communications. «Actuellement, un tel système serait trop couteux pour être appliqué à des communications banales, précise Gilles Brassard. Mais on peut penser que, dans un avenir prochain, des secrets d’État ou des informations échangées entre entreprises privées pourraient nécessiter une telle fiabilité.»
En principe, tout message encodé peut être acheminé selon cette technologie. Mais le cout de cette transmission serait prohibitif à cause des infrastructures en place. «Il fut un temps où personne n’aurait pensé que les communications transatlantiques passeraient par satellite plutôt que par des câbles sous-marins. Cela pourrait être la même chose pour les infrastructures nécessaires à la cryptographie quantique.»
Mathieu-Robert Sauvé