L’amour rend-il fou? «L’amour fait des ravages en santé mentale, souligne le Dr Paul Sidoun, professeur à la Faculté de médecine et psychiatre à l’hôpital Louis-H.-Lafontaine. Près de 70 % des consultations dans des services de psychologie ont pour motif des échecs amoureux», estime-t-il.
La grande majorité des patients qu’il examine sont en pleine crise amoureuse. Les victimes de Cupidon ont récemment vécu une rupture ou ne se sont pas remis de leur dernière. «Moins de 20 % d’entre eux sont mariés depuis longtemps ou ont une relation amoureuse stable», dit le médecin.
Mais qu’est-ce que l’amour? À son avis, il s’agit d’une forme de névrose. La sociologue Myriam Spielvogel, qui a mené une recherche doctorale à l'UdeM sur le sujet, croit pour sa part que « la relation amoureuse se démarque de l’amitié notamment par le type d’émotion ressentie, la profondeur de l’engagement et de l’échange, le degré de connaissance de l’autre et les attentes entretenues par les partenaires à l’égard l’un de l’autre. L’amour se distingue aussi du coup de foudre qui, passager, naitrait spontanément, en dehors de notre volonté. Il est toutefois admis que la passion peut mener à une relation durable et enrichissante, mais l’amour avec le temps deviendrait plus tempéré. »
«Ces distinctions, indique la sociologue, servent à attribuer une dimension de profondeur à l’amour. En lui opposant la passion, on met en valeur le caractère sérieux, constant, voire sacré, qu’on accole au “véritable” amour.» En tout cas, pour le spécialiste des maladies de l’âme, les maux dont souffrent les cœurs en peine ont généralement des causes sociales. «Les rapports humains sont caractérisés par un besoin effréné d’émotions, d’intensité, déclare le Dr Sidoun. Les couples renoncent à leur union dès que la passion s’émousse.»
Auteur d’un ouvrage sur le sujet, Désirs, amours et autres destins noirs, paru en 2000, le Dr Sidoun soutient que les gens sont envahis par toutes sortes d’idées et de slogans hollywoodiens sur l’amour qui produisent des générations de rêveurs déçus. «Dans notre société occidentale contemporaine, on a une attitude généralisée d’enfants gâtés. On casse puis on rebâtit. On a tué une sensibilité aux petites choses, au quotidien, pour des rêves de géants absolument inaccessibles.»
Le livre qu’il a publié dans la collection L’homme en question aux Éditions MNH reflète les paradoxes du sentiment amoureux. Il rassemble des récits «pas tout à fait inventés» mais porteurs d’une «douloureuse poésie», peut-on lire dans l’introduction. Il ne s’agit pas d’un roman ni d’un traité savant, mais plutôt «d’études de cas d’une psychiatrie de l’amour», comme l’indique le sous-titre. «Existe-t-il des amours heureux par eux-mêmes sans que les deuils inhérents à l’histoire de chacun ne cherchent à un moment refuge dans le registre du rêve que fournit le monde du désir?» s’interroge l’auteur.
Au risque de paraitre rétrograde, M. Sidoun affirme croire au mariage, à l’engagement, à l’union à long terme. Le psychiatre constate que les sociétés où les cadres moraux sont plus solides engendrent moins d’individus malheureux, blessés par leurs peines d’amour. D’après lui, la seule manière de vivre en intimité implique un projet commun. «Si c’est un projet matériel, les liens se distendront dès qu’il sera atteint. S’il s’agit d’un projet spirituel, le couple a des chances d’aller un peu plus loin…»
Dominique Nancy et Mathieu-Robert Sauvé