Édition du 7 mars 2005 / volume 39, numéro 23
 
  Où sont les femmes?
«Il n'y a pas de centre de recherche consacré à ce thème, mais cela ne veut pas dire qu'il ne se fait pas de recherche», affirme Andrée Labrie.

Andrée Labrie

Chaque fois qu’elle assiste à des forums sur les femmes et la recherche, Andrée Labrie, coordonnatrice du Comité permanent sur le statut de la femme, se fait immanquablement poser la question: «Qu’est-ce qui se fait à l’Université de Montréal relativement à la question des femmes?»

«On est parfois surpris de voir une représentante de l’UdeM dans ces rencontres, comme si le sujet n’était pas étudié chez nous, déclare Mme Labrie. Il n’y a pas de centre de recherche consacré à ce thème, mais cela ne veut pas dire qu’il ne se fait pas de recherche sur les femmes.» À son avis, l’absence d’un tel centre est une lacune qui porte ombrage aux recherches féminines et féministes, qui manquent ainsi de visibilité; le rôle de l’UdeM dans le domaine est méconnu.

Éviter la dispersion

À titre d’exemple du travail accompli à l’Université de Montréal sur le thème des femmes, Andrée Labrie mentionne l’existence du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (connu sous le nom de CRI-VIFF) de même que les deux chaires de recherche sur le cancer du sein. L’Université a aussi été l’hôte d’un des cinq centres d’excellence en santé des femmes du Canada.

«Plusieurs études qui ne portent pas exclusivement sur les femmes prennent aussi en considération les questions de genre et intègrent une approche comparative homme-femme», ajoute-t-elle. C’est notamment le cas des projets de coopération internationale, pour lesquels les organismes subventionnaires exigent qu’ils tiennent compte des conditions particulières des femmes.

Rose-Marie Lèbe

«S’il y avait un centre pour regrouper et coordonner ces recherches, cela leur assurerait un meilleur soutien et éviterait l’éparpillement, estime Rose-Marie Lèbe, présidente du Comité permanent et professeure au Département de kinésiologie. Ce manque de coordination entraine beaucoup de dispersion d’énergie.»

Selon la présidente, la volonté de créer une unité de recherche spécialisée sur les questions relatives aux femmes faisait défaut il y a 25 ans. Mais entretemps, les autres universités ont avancé. Au moins quatre universités québécoises en sont aujourd’hui dotées: l’UQAM a son institut de recherches et d’études féministes, McGill a élaboré son Women’s Studies Program, Concordia possède son institut Simone-de-Beauvoir et l’Université Laval a sa chaire d’étude Claire-Bonenfant.

Rose-Marie Lèbe envie également les avancées des femmes dans le milieu scientifique en Europe. «Il se fait beaucoup de travail pour donner aux femmes une place en sciences, dit-elle. Cela est même prévu dans les accords de l’Union européenne. Il n’y a rien de tel ici.»

Manque de soutien

Le manque de concertation ou de regroupement des forces entraine un essoufflement alors que la faible visibilité engendre un désintérêt pour les causes féminines. Il y a sept ans, on comptait une soixantaine de cours qui traitaient de questions propres aux femmes à l’UdeM, principalement dans les programmes de médecine, de sociologie et de sciences infirmières. Aujourd’hui, on n’en offre qu’une trentaine. «Nous perdons ainsi des étudiantes très qualifiées et motivées», indique Andrée Labrie.

Selon la coordonnatrice, cette diminution est un effet à la fois de l’absence de structures pour protéger ces cours et du manque de relève. Plusieurs des professeures qui avaient mis ces cours sur pied sont maintenant à la retraite et plusieurs autres sont lasses de se battre. Quant à la relève, il semble qu’elle ne parle pas suffisamment fort.

«Plusieurs femmes sont fatiguées qu’on présente toujours la question en fonction d’un affrontement alors qu’il s’agit plutôt d’analyser la situation particulière des femmes. Résultat d’un féminisme combattif, on a confondu les attitudes agressives avec l’étude des rapports entre les sexes.»

Les jeunes femmes rejettent désormais le qualificatif «féministe», mais Andrée Labrie craint qu’elles ne soient pas suffisamment conscientes des problèmes qui les attendent sur le marché du travail. «Le marché de l’emploi reste marqué par une culture masculine de compétition. Les gains des femmes sont très faibles et la montée de la droite peut nous faire perdre ces acquis, même dans les milieux professionnels.»

Toujours selon Mme Labrie, le manque de concertation au sein des structures gouvernementales et l’absence de cohérence dans les politiques de financement sont aussi des causes de dispersion d’énergie et d’abandon de la part des battantes. Par exemple, un rapport du ministère québécois du Développement économique et régional et de la Recherche déplorait, en 2003, que le taux de femmes en sciences et en technologies ne soit que de 25 %, mais le Conseil de la science et de la technologie n’a annoncé depuis aucune mesure de redressement.

La situation n’est pas très différente du côté d’Ottawa: les centres d’excellence en santé des femmes n’ont pu bénéficier que d’un financement de cinq ans. Faute de structures pour assurer la relève, un seul de ces centres subsiste aujourd’hui. Ces exemples montrent qu’on n’a pas vraiment adopté de ligne directrice dans les politiques gouvernementales, regrette-t-on au Comité permanent.

Daniel Baril



 
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