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Les exerciseurs de la station spatiale doivent fonctionner sans électricité et sans recourir à la gravité. L’appareil étudié par Nicolas Thébault évite ces embuches. |
Un exerciseur destiné à la Station spatiale internationale, le Flywheel Resistive Exercise Device (FRED), sera testé sous peu dans les locaux du Département de kinésiologie. On sait que l’atrophie des muscles et la déminéralisation des os constituent deux maux qui menacent toute personne qui traverse une période prolongée en apesanteur.
«Les chercheurs des différentes agences spatiales ont désigné le déconditionnement physique des astronautes comme l’un des principaux obstacles à la conquête spatiale, explique Nicolas Thébault, étudiant au doctorat en kinésiologie. Il est donc essentiel de trouver des moyens qui leur permettront de conserver la forme en apesanteur.»
De conception suédoise, le FRED ressemble vaguement aux appareils grâce auxquels les avironneurs s’entrainent les pieds au sec. Mais son mécanisme est beaucoup plus complexe puisqu’il fonctionne avec un système de ressorts et de poulies qui utilise à son profit la force de l’utilisateur. Résultat: plus on tire sur la sangle avec les bras ou les jambes, plus la résistance s’accroit. Un peu comme un yoyo de haute technologie.
L’Agence spatiale européenne (ASE) a fait parvenir deux prototypes d’une valeur de quelque 30 000 euros au Laboratoire de physiologie de l’exercice de l’Université de Montréal, où M. Thébault doit l’expérimenter. Le rôle du chercheur consiste à suggérer les meilleures utilisations du système. «L’ASE et la NASA ont déjà annoncé que cet appareil prendrait le chemin de la station spatiale, indique-t-il. Nous devons donc documenter le mieux possible son potentiel, ses forces et ses faiblesses.»
Sa principale préoccupation est de quantifier et d’optimiser les charges d’entrainement, et de trouver des équivalences avec les charges (poids et haltères) habituellement utilisées. «Nous souhaitons également modifier la forme du FRED pour le rendre plus sécuritaire et plus polyvalent», ajoute l’étudiant français qui
vit au Québec depuis trois ans. Les tests de mise au point pourraient être réalisés au moment de vols paraboliques dans l’avion-laboratoire Airbus, dont dispose l’ASE.
Le chercheur rappelle que les responsables de l’exploration spatiale envisagent à moyen terme d’envoyer des missions vers la planète Mars, des voyages de deux ans aller-retour. Sans un système convenable pour atténuer les effets de l’apesanteur sur la morphologie humaine, cet objectif pourrait être compromis.
Vaincre l’ostéoporose
L’être humain n’est pas fait pour flotter dans l’espace mais au contraire pour lutter 24 heures sur 24 contre l’effet de la gravité terrestre. «Sur Terre, nous nous servons constamment de certains muscles pour contrer les effets de la pesanteur, signale le chercheur. Comme les astronautes travaillent en microgravité, une très faible contraction musculaire suffit pour que les muscles soutiennent leur corps et leur permettent de se déplacer. Des études ont révélé que la masse musculaire des astronautes qui participent à un vol spatial d’une durée de 5 à 11 jours diminue dans une proportion pouvant atteindre 20 %. Cette perte de la masse musculaire s’accompagne d’une perte de la force qui pourrait être dangereuse si l’astronaute devait entreprendre une épuisante procédure d’urgence au moment de la rentrée dans le champ gravitationnel de la Terre.»
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Nicolas Thébault |
Les astronautes en apesanteur doivent s’entrainer au moins deux heures et demie par jour pour éviter que leurs muscles s’atrophient et que leurs os perdent de leur densité, souligne Nicolas Thébault. Mais cette perte se stabilise après trois ou quatre semaines. Heureusement, lorsque la personne revient sur Terre, elle peut regagner assez rapidement cette masse musculaire.
Les choses sont plus compliquées au chapitre de la déminéralisation osseuse. «Un os qui n’est pas soumis à une résistance a tendance à devenir poreux, friable. C’est le phénomène de l’ostéoporose. Dans l’espace, ce phénomène est très sérieux. Comme si les astronautes vieillissaient prématurément. Et, à la différence de l’atrophie musculaire, les dommages sont souvent irréversibles», mentionne le chercheur.
Un patient qui demeure couché pendant une période prolongée pourra subir des effets similaires. D’ailleurs, des travaux auprès de sujets alités jour et nuit pendant trois mois sont actuellement en cours à Toulouse. Ces travaux préliminaires ont confirmé que le FRED pouvait aider à réduire les pertes osseuses.
Spécialiste de l’entrainement
Après ses études de premier cycle à l’Université de Pau, Nicolas Thébault a terminé une maitrise avec Luc Léger, de l’Université de Montréal, sur la capacité des sportifs à reproduire des efforts de haute intensité lorsque ceux-ci sont entrecoupés de courtes périodes de récupération. Il a acquis une expertise en matière de méthodes d’entrainement pour l’endurance et la puissance et c’est à ce titre que l’ASE veut bénéficier de ses compétences.
L’expérimentation du FRED consiste, d’abord, à déterminer les protocoles d’évaluation des qualités musculaires des usagers. À partir des résultats obtenus, le chercheur transposera les méthodes classiques d’entrainement dans les conditions particulières de l’apesanteur. «L’apesanteur induit des modifications physiologiques, fait-il remarquer. Il est donc nécessaire de prendre en compte ces modifications pour proposer l’entrainement le plus adapté.»
Les astronautes qui préparent un séjour dans l’espace sont incités à faire du sport, mais ils ne reçoivent pas de plan d’entrainement spécial afin de lutter contre l’atrophie musculaire et la perte osseuse qui les attendent. Les travaux de Nicolas Thébault, sous la direction de Luc Léger (en cotutelle avec Philippe Passelergue, de l’Université de Pau), pourraient permettre d’établir un plan d’entrainement qui préviendrait ces problèmes musculosquelettiques.
Mathieu-Robert Sauvé