Édition du 18 avril 2005 / volume 39, numéro 28
 
  Les bienfaits du soya confirmés de nouveau
Chez les ratons, le soya dans l’alimentation de la mère prévient l’hypertrophie cardiaque. Cette découverte pourrait avoir des retombées chez les humains

L’hypertrophie cardiaque est un des facteurs de risque les plus grands de la défaillance cardiaque chez les êtres humains. Le soya pourrait aider à garder un cœur en santé.

Les ratons dont la mère a reçu une alimentation riche en phytoestrogènes sont exempts d’hypertrophie cardiaque! C’est la surprenante découverte faite par l’équipe de Christian Deschepper, chercheur à la Faculté de médecine et à l’Institut de recherches cliniques de Montréal.

Chose étonnante, le fait d’avoir «trop de cœur» est plus dangereux que de ne pas en avoir assez! «L’hypertrophie cardiaque est un des facteurs de risque les plus grands de la défaillance cardiaque chez les êtres humains», indique le chercheur. En Amérique du Nord, 20 % de la population risque de souffrir d’une telle défaillance après l’âge de 40 ans, alors que les maladies cardiovasculaires représentent 37 % des causes de décès.

L’hypertrophie cardiaque est due soit à l’épaississement des parois musculaires du ventricule (hypertrophie concentrique), soit à la dilatation du muscle (hypertrophie dilatée). Cette seconde forme, caractérisée par des cellules musculaires plus allongées, engendre un risque plus haut de défaillance.

Mais avoir le cœur trop gros n’est pas toujours synonyme de complications. «Le rapport entre la masse corporelle et la taille du cœur peut varier du simple au double, soit de 60 à 130 gr par mètre carré de surface corporelle, chez de jeunes hommes qui ne présentent aucun signe de défaillance, précise Christian Deschepper. Cette proportion peut être encore plus élevée chez des individus atteints de problèmes cardiaques, mais il n’y a pas de frontière clairement établie entre l’hypertrophie sans risque et l’hypertrophie pathologique.»

Alimentation maternelle

Emmanuelle Souzeau

Des recherches effectuées sur des rats ont déjà montré que la prédisposition génétique à l’hypertrophie cardiaque mettait en cause des gènes différents selon le sexe de l’individu. Il est également connu que la nourriture standard donnée aux rats de laboratoire, nourriture dérivée du soya, est riche en isoflavones, des phytoestrogènes dont l’action peut être en partie semblable à celle des estrogènes produits par l’organisme.

Pour mener des recherches sur les facteurs génétiques de l’hypertrophie, il fallait d’abord connaitre puis neutraliser l’effet possible des phytoestrogènes. Christian Deschepper a donc comparé le développement du muscle cardiaque de rats nourris aux dérivés de soya avec celui de rats dont la nourriture était exempte de phytoestrogènes. Le développement du muscle cardiaque commençant dès les premières phases de l’embryogenèse, l’étude, réalisée par Emmanuelle Souzeau, alors étudiante à la maitrise en physiologie, a tenu compte non seulement de l’alimentation du raton mais aussi de celle de la mère depuis le début de la conception jusqu’à la fin de la période d’allaitement.

Les résultats ont renversé les chercheurs tant l’effet de la nourriture s’est révélé considérable. Tous les rats dont la mère avait reçu une alimentation exempte de phytoestrogènes ont présenté, à l’âge adulte, une importante dilatation cardiaque, le volume de la cavité ventriculaire étant de 80 % supérieur à celui des rats dont la mère avait été nourrie avec les composés habituels. L’effet de ces mêmes phytoestrogènes s’est avéré nul après la puberté.

Christian Deschepper

«L’alimentation maternelle programme donc le développement futur du cœur des rejetons, conclut Christian Deschepper. Les phytoestrogènes sont moins actifs sur les récepteurs d’estrogènes que les estrogènes produits par le corps, mais ils sont si abondants qu’ils peuvent interagir avec ces mêmes récepteurs. Ce sont peut-être des éléments essentiels: si le corps en manque pendant la période de développement qui suit la naissance, les cellules cardiaques seront plus allongées et le cœur souffrira d’hypertrophie dilatée à l’âge adulte.»

Méthylation de l’ADN?

C’est la première fois qu’une étude révèle un tel effet de l’alimentation de la mère sur le développement cardiaque du rejeton. Selon le chercheur, cet effet pourrait être le simple résultat d’une alimentation enrichie, mais il avance une seconde hypothèse, plus audacieuse, faisant appel à la modification de l’ADN lui-même.

«Des travaux ont prouvé qu’une modification de l’alimentation chez des ratons génétiquement identiques pouvait donner des individus au pelage de couleurs différentes», affirme Christian Deschepper, photos à l’appui. Des phénomènes de ce genre reposeraient sur la méthylation de l’ADN.

La rate qui a une alimentation riche en soya rend un grand service à ses rejetons puisqu’ils ne souffriront pas d’hypertrophie cardiaque. Cette découverte pourrait avoir un impact chez les humains.

La méthylation est une transformation de l’un des quatre acides de base de l’ADN, plus fréquemment la cytosine, processus par lequel un chlorure de méthyle prend la place d’un atome d’hydrogène. Ce changement opéré pendant la gestation modifie l’expression de certains gènes et il est connu que les phytoestrogènes ont un effet de régulation sur la méthylation.

Christian Deschepper poursuit ses recherches de ce côté afin de savoir si la méthylation peut être différente chez des rats dont la mère a reçu une alimentation avec ou sans phytoestrogènes. Chose certaine, ses travaux l’ont convaincu que l’environnement biologique immédiat au cours de la période périnatale peut avoir une influence sur le développement futur du raton.

Chez les êtres humains

Le même phénomène peut-il se produire chez les humains? «Les nourrissons dont la mère consomme du soya ont plus de phytoestrogènes, assure le chercheur. Il y a donc transfert chez les êtres humains et tous s’entendent pour dire que le soya est un aliment sain.»

Christian Deschepper demeure toutefois prudent et ne va pas jusqu’à conseiller aux femmes enceintes de se gaver de soya. Les diététistes en recommandent une consommation de 25 gr par jour sous l’une ou l’autre de ses formes, soit en lait, en tofu ou en fève. Apparemment, «ça ne semble mauvais pour personne», souligne-t-il.

Daniel Baril



 
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