Au fil de ses entrevues, l’équipe de Forum a eu le loisir de se rendre dans plusieurs bureaux de chercheurs. Lieu de réflexion par excellence, chaque bureau est unique. Certains fascinent par leur désordre apparent alors que d’autres sont presque totalement dénués de papier. |
Ce qui frappe dès qu’on entre dans le bureau de Guy Rocher, ce sont les mètres cubes de papier qui occupent l’espace. «Le bureau d’un vrai professeur», lui a-t-on souvent fait remarquer. Mais M. Rocher n’est pas le seul vrai professeur à l’UdeM, comme vous pouvez le constater ci-contre.
Comment expliquer le désordre qui règne dans le bureau de nombreux professeurs d’université? Existe-t-il quelque raison inhérente à la profession qui pousse ceux-ci à accumuler les papiers et à s’opposer farouchement à tout système de classement?
La recherche et l’enseignement figurent sans conteste au cœur de la vie de tout professeur. Certains adorent travailler tard dans la nuit à échafauder une théorie ou sentir l’adrénaline monter lorsqu’ils se trouvent devant une classe remplie d’étudiants avides d’apprendre. Pour bon nombre d’entre eux par contre, le classement est une activité redoutable qui s’apparente à une corvée. Résultat: leurs bureaux sont de véritables capharnaüms.
Rapports de recherche, travaux d’étudiants et livres s’accumulent sur les tablettes, remplissent d’innombrables classeurs et se disputent l’espace sur le plancher.
Pour leur part, s’ils ne sont pas entièrement convertis aux vertus du classement, Jocelyn Faubert et Georges Michaud n’ont plus à se frayer un chemin pour se rendre à leur poste de travail.
Après avoir été nommé à la tête de la Chaire CRSNG-Essilor à l’École d’optométrie en septembre dernier, Jocelyn Faubert s’est vite rendu compte qu’il ne pouvait plus se fier à son bon vieux système de «piles» de documents dits «récents», «provisoires» et «urgents». Il a donc décidé d’embaucher une coordonnatrice, Suzanne Lespérance, qui s’occupe des formalités administratives liées aux demandes de subventions, des ressources matérielles et, surtout, du classement. Quelques mois après avoir établi ce nouveau système, M. Faubert a pu accrocher des cadres sur les murs nouvellement dégagés de son bureau. Il a en outre l’esprit complètement libre pour se consacrer à ses recherches.
Pour le professeur de physique Georges Michaud, l’apparition des revues en ligne et la mémoire de son ordinateur lui ont permis de se débarrasser d’une tonne de papier. Qu’en est-il des autres professeurs sur le campus? N’ont-ils jamais entendu parler des publications électroniques et n’ont-ils pas eux aussi accès à des millions d’octets de mémoire gratuite?
Les quatre professeurs que nous vous présentons ont eu le courage de nous ouvrir les portes de leur bureau. Nous leur sommes reconnaissants d’avoir au préalable tassé quelques boites et amas de documents pour nous y accueillir.
Philip Fine
Traduit de l’anglais
par Simon Hébert
Luc Léger
Luc Léger explique que sa collection d’articles scientifiques lui permet de jouer un rôle clé au sein de son département. Plusieurs chercheurs en quête d’un texte qu’ils croient perdu à jamais viennent le trouver et sont soulagés d’apprendre qu’il en a conservé un exemplaire. Partout dans son bureau sont exposés à la vue sous une forme ou sous une autre des projets de recherche. L’un d’eux porte sur un exerciseur pour astronautes, dont le lancement est prévu pour bientôt. Heureusement que le Département de kinésiologie possède un laboratoire, car la machine, assez compacte pour entrer dans une capsule spatiale, demeure trop grosse pour son bureau. M. Léger occupe l’espace d’une seconde pièce, devenue inhabitable. Il s’agit d’un sinistre réduit où l’on se sent plongé dans un mauvais film de James Bond, écrasé entre une étagère qui va du plancher au plafond et un classeur assez volumineux pour contenir les dossiers d’une clinique médicale!
Guy Rocher
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Lorsque Guy Rocher commença sa carrière comme sous-ministre dans le gouvernement du Parti québécois à la fin des années 70, sa secrétaire lui demanda pourquoi son bureau était si encombré. Il lui répondit que c’est parce qu’il devait lire de nombreux dossiers. Celle-ci expliqua alors que des personnes étaient déjà chargées de cette tâche et qu’elles lui feraient des résumés. Le jeune sous-ministre ne tarda pas à comprendre et, très vite, son bureau fut en ordre. Or, les universitaires, contrairement aux politiciens, doivent tout lire eux-mêmes. Aussi le bureau de M. Rocher est-il de nouveau couvert de multiples lectures. S’y trouve aussi un ordinateur aux parois transparentes qui permettent d’observer son fonctionnement. Lorsqu’on examine les livres et journaux qui jonchent le sol et couvrent chaque centimètre carré des murs de son bureau – sans compter les piles de documents posées sur des tables de fortune –, on ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec l’appareil en voyant se déployer sous nos yeux la mécanique d’une véritable machine à penser.
Anthony Moffat
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Il existe un mot en thermodynamique pour quantifier le désordre, explique Anthony Moffat: l’entropie. Si cette mesure pouvait s’appliquer aux bureaux, elle serait assurément utile dans ce cas-ci. Dix-sept montagnes de chemises de classement en carton bulle, chacune faisant 60 cm de haut, sont posées ça et là sur le sol de son bureau. D’autres piles se trouvent sous les tablettes murales et sur les classeurs. L’astrophysicien prend désormais soin d’ouvrir un dossier pour chaque projet et possède de nombreuses chemises vides qui seront bientôt remplies. Le chercheur de 62 ans a cependant participé à de nombreux projets au fil des ans, ce qui a favorisé la multiplication des chemises. Les dossiers actifs sont posés sur son bureau par ordre chronologique et comprennent des notes pour deux conférences organisées par l’American Astronomical Society et qui l’aideront aussi à choisir, de concert avec d’autres spécialistes, les projets destinés au télescope orbital Chandra. Bien qu’il aime avoir sous les yeux tous les projets auxquels il participe, M. Moffat souhaiterait tout de même changer ses habitudes. Il prévoit passer en revue tous les dossiers qu’il possède et mettre au rebut ceux dont il n’a plus besoin. Mais pour l’heure, l’entropie est reine.
Luc Proteau
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Son bureau ressemble à un lit défait. On y entend le jazz suave de Stacey Kent et, les jours de soleil, une chaude lumière emplit la pièce grâce à la grande fenêtre qui donne sur le stade de l’Université. On comprend aisément pourquoi Luc Proteau est capable de passer de longues heures à son bureau. Que la seule chaise disponible fasse office de boite d’envoi et que l’appui de la fenêtre serve à entreposer ses archives n’y changent rien. Même si le classeur déborde de travaux d’étudiants et d’articles scientifiques déposés pêlemêle et qu’une pile d’examens semble sur le point de s’écrouler, chaque chose semble avoir une place bien déterminée. «Un vrai bordel, c’est quand on ne trouve jamais rien», indique M. Proteau, qui étudie actuellement la façon dont le système visuel perçoit les changements et nous pousse à faire des mouvements inconscients. En ce qui concerne son système de classement, qui semble lui aussi relever de l’inconscient, il insiste pour dire que, malgré les apparences, il arrive à tout retrouver. «Ce n’est pas parfait, mais il y a de l’ordre.»