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Flavie Langlois Caron |
Lors de la mise en marché du téléphone cellulaire dans les années 90, la publicité nous présentait cet appareil comme un objet permettant de combiner vie personnelle et vie professionnelle. On valorisait alors son utilité pour des usages ponctuels comme la communication d’urgence en voiture. Mais depuis quelques années, les compagnies de téléphonie visent un nouveau marché, celui des jeunes de 15 à 25 ans. Le discours publicitaire s’est radicalement transformé.
Flavie Langlois Caron, étudiante à la maitrise au Département de communication, a voulu savoir quelles stratégies publicitaires emploient les compagnies de téléphonie pour joindre cette nouvelle clientèle et quelles sont les images de la jeunesse que projettent les publicités.
Dans l’optique de l’étudiante, non seulement la publicité développe un discours sur un objet, mais façonne l’identité de son public. «Les stratégies publicitaires s’inspirent de la culture du public visé mais contribuent aussi à construire cette culture et à définir la représentation que ce public se fait du monde social auquel il appartient, affirme-t-elle. En ce sens, la publicité articule des hypothèses sur les besoins, les attentes et les gouts du futur consommateur.»
L’objet du désir
Pour déterminer ces hypothèses, Flavie Langlois Caron a pris en compte à la fois l’objet, les usagers, les rapports sociaux et le contenu du discours des publicités imprimées et télévisées destinées aux jeunes. Fait révélateur, 11 des 16 messages publicitaires télévisés des quatre compagnies de téléphone cellulaire diffusés au Québec au moment de la constitution de son corpus s’adressaient à cette clientèle.
L’analyse montre que les publicités misent sur la valorisation de la communication, présentent le cellulaire comme un objet de valeur, font de l’usager un membre d’une communauté et utilisent les stéréotypes du groupe visé.
Pendant la période des fêtes, par exemple, le téléphone cellulaire devient un cadeau agréable à offrir, à demander ou à s’offrir à soi-même. «On en fait un objet désirable aux couleurs personnalisées qui lui confèrent le statut d’accessoire de mode», souligne l’étudiante. Une publicité imprimée présentant un objet sans valeur reçu à Noël comporte comme seul texte: «À ce prix-là, vous auriez pu recevoir un téléphone cool.»
Le langage écrit emprunte au langage parlé et a fréquemment recours au tutoiement, ce qui crée un contexte de connivence et de familiarité pour le jeune.
On mousse aussi le sentiment d’appartenance à un groupe, soit la famille, l’école ou le réseau d’amis. Ceux qui ne possèdent pas de cellulaire ne font pas partie de la gang. Un message publicitaire utilise l’image d’un groupe de chiens rassemblés et d’un mouton à l’écart pour nous dire que le forfait est offert uniquement chez cet annonceur. Un autre affirme que «qui se ressemble s’assemble», le lien étant bien entendu l’abonnement à la même confrérie téléphonique. D’autres entreprises offrent des appels gratuits entre les élèves d’une même communauté scolaire ou entre les membres d’une même famille.
L’usage qui est fait de l’appareil, parfois absent de la mise en scène, n’a plus rien à voir avec la communication d’urgence. «On met plutôt l’accent sur l’urgence de communiquer», indique Flavie Langlois Caron, reprenant ainsi les observations de son directeur, André Caron, titulaire de la Chaire Bell sur les technologies émergentes.
L’étudiante voit par ailleurs dans les pastiches des séries d’époque une recherche de complicité avec les jeunes. «On les interpelle par la parodie et la moquerie de “l’ancien temps”. Le rire, à la fin, est un clin d’œil permettant de communiquer par le jeu.»
Mode d’usage et mode de vie
Le téléphone cellulaire est par ailleurs présent dans des publicités qui n’ont aucunement pour but d’en faire la promotion. Ainsi, un enfant s’en sert à l’école pour appeler sa mère et lui faire part de ses commentaires sur le lunch qu’elle lui a préparé. Une publicité de bière caricature des comportements déplacés, dont l’usage du téléphone au cours d’un tête-à-tête.
Pour l’étudiante, ceci prouve que le cellulaire fait maintenant partie de la vie de tous les jours. On nous le montre comme on nous montrait des jukebox dans les films des années 50.
Mais il y a plus. Le cellulaire, dans ces publicités, est aussi utilisé pour sanctionner ou cautionner des attitudes en fonction de ce qui est socialement acceptable. «L’introduction d’une nouvelle technologie dans le quotidien bouleverse les codes de la vie sociale et il doit s’ensuivre une redéfinition de l’étiquette afin de s’entendre collectivement sur les formes polies de l’usage», écrit Flavie Langlois Caron dans son mémoire. On se prend alors à espérer une publicité sur l’usage déplacé et ridicule de son cellulaire dans un autobus bondé!
«La publicité nous présente un modèle de relation entre les jeunes et le téléphone et elle naturalise ce rapport entre l’usager et l’objet, conclut l’étudiante. Le cellulaire est toujours disponible et toujours utilisable; en posséder un est un signe de statut social.»
Objet désirable adapté à la vie de tous les jours et ayant intégré l’appareil photo, le caméscope, le courriel et les jeux vidéo, le cellulaire est surement là pour rester. Mais si vous n’en pouvez plus de la famille de ti-coune des publicités télévisées de 21 h 59, autant que vous n’en pouviez plus de l’insupportable beau-frère et du jeune vedge (celui qui végète), il ne vous reste qu’à ouvrir votre téléviseur à 22 h précises.
Daniel Baril