Édition du 16 mai 2005 / volume 39, numéro 30
 
  Tony dans tous ses états
Un groupe d’experts internationaux émettent de sévères critiques à l’égard de Tony Blair

Tony Blair

Au moment même où se tenait un colloque de trois jours consacré à son gouvernement, Tony Blair a obtenu un troisième mandat de l’électorat anglais. Ce qui n’a pas empêché un groupe d’universitaires britanniques de jouer les trouble-fêtes en jetant un regard critique sur les années au pouvoir du politicien.

Du 4 au 6 mai, l’Université de Montréal a été l’hôte du colloque «Que reste-t-il de Cool Britannia? Le Royaume-Uni après huit ans de gouvernement Blair», organisé par le Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM (CERIUM), en partenariat avec l’Université McGill.

L’expression «Cool Britannia» a été utilisée pour décrire la Grande-Bretagne durant la première campagne électorale de Tony Blair à titre de chef du Parti travailliste et n’est plus guère employée. Le thème des vieux slogans et des attentes déçues est d’ailleurs souvent ressorti dans les nombreux articles, rencontres et discours du colloque.

Ce colloque a donné lieu à des discussions animées sur les nouveaux travaillistes, qui ont transformé un parti d’opposition gauchisant en une majorité centriste. Parmi les conférenciers invités, mentionnons le biographe de Tony Blair, Anthony Seldon; l’un des négociateurs de l’Accord du Vendredi saint en Irlande du Nord, Brendan O’Leary; et l’un des principaux initiateurs de la «troisième voie», Geoff Mulgan. Les représentants de l’UdeM comprenaient le directeur exécutif du CERIUM, Jean-François Lisée; la sociologue Deena White; les politologues Denis Saint-Martin, Richard Nadeau et Jean-Philippe Thérien; la coordonnatrice de la Chaire Jean-Monnet en intégration européenne, Françoise Maniet; le professeur de droit Jacques Frémont; et la professeure d’études anglaises Joyce Boro.

Alan Finlayson, critique sociopolitique du pays de Galles et professeur à l’Université de Swansea, a résumé pour Forum l’opinion des experts sur la façon dont Tony Blair a déçu: «Il avait devant lui d’immenses possibilités et il les a laissées filer.» M. Finlayson assistait au colloque pour présenter un article sur le programme d’aide Child Trust, un fonds de dotation pour enfants qui était à l’origine plutôt radical, mais qui s’est transformé au fil des ans en simple exemple de l’idéologie néolibérale des nouveaux travaillistes.

Le partenariat Bush-Blair ridiculisé

L’une des critiques les plus sévères du colloque est venue d’un Américain, Joel Krieger, qui a dénoncé, avec d’autres participants, les liens que Tony Blair a créés avec George W. Bush. M. Krieger a affirmé que Tony Blair n’a pas tenu compte de certaines différences fondamentales entre le Royaume-Uni et les États-Unis, comme leurs points de vue divergents sur le conflit israélo-palestinien ou sur le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Selon Joel Krieger, toutes ces différences ont été occultées pour forger une alliance entre les deux pays: «Washington exigeait une guerre contre le terrorisme et les Britanniques y ont consenti.» Il a ajouté que Tony Blair avait façonné une politique étrangère visant à prouver que les intérêts nationaux britanniques seraient mieux servis par cet étrange partenariat. Mais selon lui, cette alliance n’était qu’un geste servile: «La guerre en Irak n’était pas un acte doctrinaire d’intervention humanitaire, mais une capitulation face à la doctrine de George W. Bush.»

La politique étrangère de Tony Blair a également attiré l’attention de Jean-Louis Roy, ancien directeur du Devoir maintenant président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, qui a son siège social à Montréal. Au cours de son allocution à l’occasion d’un déjeuner-causerie, M. Roy a souligné les efforts de Tony Blair pour jouer sur les deux tableaux au moment de la formation de l’alliance européenne. Il a ajouté à la blague que le Royaume-Uni aurait dû changer de lieu géographique avec le Canada puisque, malgré sa promesse de construire une Europe forte, le premier ministre britannique a démontré une certaine antipathie envers son propre continent: «Si M. Blair est un drôle d’Américain, il est peut-être aussi un drôle d’Européen.»

L’homme des petits pas

Anthony Seldon, auteur de Blair, considéré par The Guardian comme le plus fidèle portrait de Tony Blair à ce jour, a dressé une liste détaillée des secteurs que M. Blair avait promis d’améliorer à son arrivée au pouvoir: les relations de la Grande-Bretagne avec l’Union européenne, la santé, l’éducation, le transport, la loi et l’ordre, l’aide sociale, la Constitution britannique, l’infrastructure gouvernementale, les relations du pays avec le reste du monde, la pauvreté dans le tiers-monde, les changements climatiques et, enfin, le Parti travailliste lui-même. «C’est une liste impressionnante. S’il en avait réalisé tous les éléments, ou même une bonne partie, il aurait dirigé l’un des gouvernements les plus réformateurs de notre histoire.»

Pour Anthony Seldon, l’époque de Tony Blair a plutôt été témoin de changements progressifs: «Une prudence innée est la première explication qui vient à l’esprit quand on se demande pourquoi il n’a pas accompli plus de choses en tant que premier ministre avant 2005.» Il a cependant vanté son travail «obstiné» pour ramener la paix en Irlande du Nord.

Brendan O’Leary a lui aussi témoigné en ce sens, louangeant les efforts de Tony Blair pour que cessent les interventions britanniques dans la région. Il a noté que l’attentat à la bombe d’Omagh, en 1998, a été la seule entorse à la tendance positive qui a vu diminuer le nombre de morts et de blessés après les sommets de violence des années 70. M. O’Leary a même prédit que le dernier fleuron de la couronne de Tony Blair dans ce dossier sera le démantèlement volontaire de l’IRA pendant le prochain mandat du Parti travailliste.

L’une des décisions du gouvernement Blair a été à la fois applaudie et critiquée. Au cours d’un atelier sur la culture contemporaine, on a parlé de l’augmentation récente par le Parti travailliste des subventions aux cantines scolaires. Même si l’on a reconnu la validité de ce programme, on a critiqué la façon dont il a été mis sur pied: non pas à la suggestion d’un ministre, mais à la suite de l’initiative d’un célèbre chef cuisinier britannique. En effet, le chef Jamie Oliver s’est rendu dans les écoles du pays avec une équipe de tournage pour essayer de corriger les menus déplorables servis dans les cafétérias et pour attirer l’attention sur un problème national. Le gouvernement Blair a suivi l’idée du jeune chef pour mettre en œuvre une nouvelle politique au lieu d’en créer une lui-même.

Cette image d’une personnalité connue prenant des décisions à la place du gouvernement, si timide dans ses choix au cours de ses huit ans au pouvoir, a fait sourire un grand nombre de délégués.

Philip Fine
Traduit de l’anglais
par Simon Hébert



 
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