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Robert Zatorre et Isabelle Peretz dirigeront un centre de recherche unique, consacré à l’étude du cerveau, de la musique et du son. On les voit ici dans la chapelle du 1420, boulevard Mont-Royal, où se trouveront leurs locaux. |
Au terme de deux ans de pourparlers entre l’Université de Montréal et l’Université McGill, deux grands spécialistes de l’étude du cerveau musical, Isabelle Peretz et Robert Zatorre, annoncent la création du plus important centre mondial de recherche consacré à ce domaine au carrefour des arts, de la psychologie et de la neurologie. Il portera le nom de Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son et l’acronyme BRAMS (pour Brain, Music and Sound Research).
«Il y a dans notre nouveau centre une concentration d’experts dans le domaine de la neuroscience de la cognition auditive avec lesquels aucun autre groupe de recherche dans le monde ne peut actuellement rivaliser», explique Mme Peretz, professeure au Département de psychologie de l’UdeM et directrice du Laboratoire de neuropsychologie de la musique et de la cognition auditive. Mme Peretz codirigera le BRAMS avec M. Zatorre.
La fusion des équipes de recherche dans les nouveaux locaux du 1420, boulevard Mont-Royal, qui occuperont une superficie de 1500 m2, n’est pas une mince affaire. Chacun des 11 chercheurs qui font partie du BRAMS a une impressionnante feuille de route. On trouve par exemple parmi les membres fondateurs Evan Balaban, expert en neuroscience du comportement, de la cognition, du langage et de la perception (McGill); Pascal Belin, spécialiste du traitement de la voix (UdeM); Christine Beckett, spécialiste de l’oreille absolue, de la lecture musicale et de la formation auditive (Université Concordia); Douglas Eck, expert en modélisation du rythme musical (UdeM); Sylvie Hébert, spécialiste de la musique, de la parole et des acouphènes (UdeM); Daniel Levitin, qui se consacre à l’étude de la cognition, de la mémoire et de l’expertise musicales (McGill); Stephen McAdams, expert en psychoacoustique et cognition (McGill); Caroline Palmer, spécialiste du contrôle moteur et de l’acquisition d’habiletés musicales (McGill); et enfin Virginia Penhune, spécialiste des bases neurales de l’apprentissage moteur et du rythme (Concordia).
La plupart de ces chercheurs ne sont pas des musiciens professionnels, même s’ils ont en commun un intérêt marqué pour la musique. Ce qui les intéresse surtout, c’est cette forme d’art abordée sous l’angle du langage et son rapport avec la cognition et le cerveau. Deux d’entre eux sont toutefois professeurs de musique: Stephen McAdams et Christine Beckett.
L’établissement sur l’autre versant du mont Royal d’une telle concentration de chercheurs et de leurs équipes issues des universités McGill et Concordia est sans précédent dans l’histoire. Le protocole d’entente dit que McGill et l’UdeM «s’entendent pour reconnaitre le caractère interinstitutionnel du Laboratoire». Cela signifie que la formation pourrait être en partie bilingue. De plus, le protocole souligne la «nécessité de coordonner et de renforcer leurs activités de recherche et de formation aux cycles supérieurs».
Le lancement du BRAMS se fera le 20 juin dans les lieux mêmes où les chercheurs s’installeront, à compter de 2006, lorsque les travaux d’aménagement seront terminés.
Tout est à faire
Dans un article récent de la revue Nature (17 mars 2005), Robert Zatorre mentionnait que la musique représentait un champ d’investigation scientifique complexe et emballant. «Un nombre croissant de chercheurs sont convaincus que la musique peut livrer de l’information pertinente sur la façon dont le cerveau fonctionne. Ils pensent que l’étude de la musique et l’étude du cerveau se rejoignent», écrivait-il.
Mais que reste-t-il donc à découvrir à des chercheurs qui collaborent ensemble depuis 10 ans? «Presque tout», répond humblement Mme Peretz, pour qui les avancées de la science, même si elles ont paru parfois majeures, ne constituent encore que de petits pas dans le déchiffrement de l’immense mystère qui entoure le rythme, la mémoire musicale, l’oreille ou l’apprentissage technique d’un instrument. Existe-t-il un cerveau pour la musique? Comment les fonctions du système nerveux nous permettent-elles d’entendre, de mémoriser et de produire la musique, ainsi que d’y être sensibles sur le plan émotif? De quelle manière celles-ci interagissent-elles avec d’autres fonctions cognitives comme la compréhension de la parole ? Comment se modifient-elles durant le développement et sont-elles altérées par la maladie? Toutes ces questions sont encore sans réponse.
En tout cas, la création du BRAMS permettra surement d’y voir plus clair. «C’est indiscutablement un moment déterminant dans ma carrière, commente Mme Peretz. Et Montréal bénéficiera grandement de cette expertise. Les gens viendront de partout dans le monde pour étudier dans notre centre. Nous avons déjà des demandes en ce sens.»
Pour la petite histoire, il faut savoir qu’une université australienne a offert à Isabelle Peretz une chaire de recherche prestigieuse et généreuse à la suite de son dernier passage sur le continent. La neuropsychologue n’a eu aucun mal à s’imaginer poursuivre sa vie professionnelle sous le soleil de l’Océanie. Assise dans le sable, elle aurait pu communiquer par Internet avec ses collègues outre-Pacifique aussi facilement que de son bureau montréalais. «Je me suis dit qu’une seule chose pouvait me faire refuser l’offre de Sydney, relate-t-elle: parvenir à réunir sous un même toit toute la masse critique des chercheurs en musique et cognition à Montréal. C’est ce qui est arrivé.»
Elle souligne par ailleurs l’excellente collaboration du doyen de la Faculté des arts et des sciences, Joseph Hubert, qui a immédiatement cru en ce projet.
Mathieu-Robert Sauvé