Lorsqu'on suggère à des sujets de recherche
sous hypnose qu'ils vont ressentir une douleur extrêmement
intense lorsqu'ils plongeront leur main dans un bac d'eau
chaude, leurs circuits neuronaux s'activent davantage que
si l'on suggère aux mêmes sujets que la chaleur
sera à peine, ou pas du tout, douloureuse. Le signal
de la douleur est modifié à partir de la moelle
épinière jusqu'au cerveau.
C'est ce que Pierre Rainville, chercheur adjoint à
la Faculté de médecine dentaire de l'Université
de Montréal, a démontré au cours d'une
recherche portant sur la représentation cérébrale
de la douleur et qui vient de faire l'objet d'une publication
dans le Journal of Neurophysiology avec Gary Duncan
et des collaborateurs de l'Université McGill. «Le
centre de la douleur n'existe pas, précise le chercheur,
qui a réalisé une partie de ses récents
projets à l'Université de l'Iowa. Aucune lobotomie
ne fait disparaître complètement la douleur.
Mais les recherches récentes menées grâce
à l'imagerie cérébrale fonctionnelle
(tomographie par émission de positons) montrent clairement
que certaines parties du cerveau se modifient lorsqu'on
appréhende la sensation à venir. En d'autres
termes, la réponse de certaines régions corticales
est directement proportionnelle à l'expérience
subjective de la douleur.»
La douleur est une sensation essentielle à la survie.
Sans l'expérience de la douleur, pas de réflexe
de protection, pas de peur, pas de prévention des
risques... Mais le seuil de tolérance varie. La douleur
abdominale qu'on ressent après un gros repas est
différente de celle d'un menuisier qui s'assène
un coup de marteau sur le doigt! Trois conditions expérimentales
ont été testées. Dans la première,
les sujets ont simplement plongé pendant une minute
leur main dans un bac rempli d'eau à 47 degrés
Celsius. Dans la deuxième condition, les sujets étaient
hypnotisés, et l'expérimentateur leur suggérait
que l'eau était très chaude. Dans la dernière
condition, les sujets de recherche, également sous
hypnose, croyaient, au contraire, que l'eau était
à une température peu élevée.
Les questionnaires, remplis après chaque test, ont
révélé que les sujets ont ressenti
beaucoup plus de douleur dans la deuxième condition
que dans la troisième. Cela démontre que l'anticipation
d'une épreuve en accentue l'acuité. «Nous
savons tous qu'il existe une composante affective à
la douleur, dit Pierre Rainville. Notre recherche montre
qu'il y a des signes physiologiques dans le système
nerveux quand on a mal. Les sujets n'ont pas simplement
réagi aux suggestions pour faire plaisir à
l'expérimentateur. L'activité de leur cerveau
dans plusieurs régions qu'on sait activées
au moment de la douleur suggère qu'ils ressentaient
effectivement plus ou moins de douleur dans les différentes
conditions expérimentales.»
Il y a 23 siècles, Aristote a classé la douleur
parmi les passions de l'âme et en a fait un élément
distinctif des cinq sens. Pierre Rainville n'a pas l'ambition
de trouver des réponses définitives...
Chercheur : Pierre
Rainville
Téléphone : (514) 343-6111, poste 3935
Financement : Fondation canadienne pour l'innovation, Fonds
de l'aide aux chercheurs