Quelques fragments d'os carbonisés et trois molaires.
C'est tout ce qu'on a récupéré d'un
accident d'automobile survenu deux jours plus tôt
sur une route du Québec. Ces maigres indices, déposés
sur un plateau de carton au 12e étage du Laboratoire
de sciences judiciaires et de médecine légale
du Québec, rue Parthenais, suffiront à Robert
Dorion pour identifier le corps. «Chaque individu
a ses particularités dentaires, explique-t-il. Quand
on peut récupérer les radiographies "ante-mortem"
de la victime et les comparer avec les fragments retrouvés
sur les lieux d'un accident ou d'un meurtre, cela contribue
à établir son identité.»
Le Dr Dorion est un dentiste un peu spécial. En plus
de sa pratique privée, trois jours par semaine, il
se consacre depuis 30 ans à l'odontologie judiciaire
et à l'enseignement de la dentisterie à l'Université
de Montréal. Ses recherches lui ont d'ailleurs valu
un prix du Federal Bureau of Investigation (FBI) pour «exceptionnal
achievement» en 2001. Récemment, il était
à Atlanta pour présenter ses plus récents
travaux sur une lubie courante chez les meurtriers : mordre
leur victime. La morsure laisse des traces, tant sur l'épiderme
que dans les couches sous-cutanées, et ces traces
constituent autant d'indices pour incriminer les suspects.
Le Dr Dorion a développé, au milieu des
années 80, une technique de moulage en acrylique
permettant de conserver le segment de peau de la victime
où l'empreinte des dents apparaît encore distinctement,
même après plusieurs années.
Les 2600 cas que le Dr Dorion a étudiés
au cours de sa carrière (excluant ceux à l'étranger
où il a donné son avis d'expert) font de lui
l'un des plus grands spécialistes de l'odontologie
judiciaire du continent. Il est le seul spécialiste
dans ce domaine au Québec et l'un des quatre au Canada,
agréés par l'American Board of Forensic Odontology,
dont il est l'un des fondateurs. On en compte une centaine
en Amérique. Mondialisation oblige, le FBI est à
constituer, avec la Gendarmerie royale du Canada, une unité
internationale de détection des crimes, qui permettra
aux enquêteurs de mettre en commun leurs données
sur les personnes disparues.
L'identification par l'ADN, de plus en plus courante dans
le monde judiciaire, ne menace en rien l'équipe d'odontologie
judiciaire. «Il ne faut pas oublier que la pluie,
la moisissure et la décomposition peuvent altérer
l'ADN d'une victime, précise le dentiste. De plus,
cette procédure coûte cher et prend du temps.
L'examen de la dentition peut demander moins de deux heures,
alors qu'il faut compter au moins deux semaines pour l'identification
par l'ADN.»
Dans Déjà Dead, le best-seller de Kathy
Reichs (éditions Robert Laffont), Robert Dorion est
devenu Marc Bergeron, collègue de l'héroïne
Temperance Brennan. «Il avait plus en commun avec
un personnage de Tim Burton qu'avec l'image classique d'un
odontologiste judiciaire» écrit la romancière,
qui travaille quotidiennement avec le Dr Dorion. «Moi
aussi j'ai bien des romans noirs à écrire»,
dit-il en rigolant.
Chercheur : Robert Dorion
Téléphone : (514) 873-3300, poste 409