Les montagnes russes, le ski à toute vitesse, le
saut en parachute procurent des plaisirs intenses où
la dopamine circule à cent à l’heure
dans le système nerveux. Les toxicomanes recherchent
ce type de sensations lorsqu’ils consomment de la
cocaïne ou de l’alcool. Le problème, c’est
que les petits plaisirs de la vie — lire un bon livre,
manger avec des amis, écouter une sonate de Chopin
— n’ont aucun intérêt à
leurs yeux. Lorsqu’ils ne s’éclatent
pas, l’univers est monotone. Le Dr Jean-Yves Roy,
professeur de clinique au Département de psychiatrie
de l’Université de Montréal, estime
que les toxicomanes doivent s’efforcer de développer
leur aptitude aux petits plaisirs s’ils veulent renoncer
à leurs dépendances. «Ils ont du travail
à faire du côté hédoniste»,
dit-il.
Avec un sourire franc, il dit que la clinique Cormier-Lafontaine,
qui reçoit, à Montréal, 260 malades
externes psychiatrisés et toxicomanes, pourrait presque
s’appeler la «Clinique du plaisir» tant
ce volet de la réadaptation lui paraît essentiel.
Pour le psychiatre auteur d’un essai remarqué
sur la relation entre les gourous et leurs adeptes, Le
syndrome du berger, paru chez Boréal en 1998,
le plaisir est un talent, comme la peinture ou la musique.
Ceux qui ne l’ont pas ont tout intérêt
à le cultiver.
Chez les schizophrènes, cet «anhédonie»
ou absence d’hédonisme est particulièrement
évident. Mais le spécialiste ne saurait dire
s’il est un volet de la maladie ou une conséquence
des médicaments antidépresseurs qu’ils
se voient prescrire. «La médication antipsychotique
est assurément une bonne chose en psychiatrie, affirme-t-il.
Mais je me demande si nous ne prescrivons pas trop longtemps
des doses massives qui inhibent jusqu’à la
possibilité d’avoir du plaisir…»
Les antidépresseurs bloquent les circuits nerveux
surchargés de dopamine. Quand une crise survient,
le médecin doit s’efforcer de stopper la tempête.
Mais lorsque le calme revient, les doses ne sont pas toujours
diminuées en conséquence. Le médecin
en appelle à une meilleure utilisation de ces psychotropes
et à l’élaboration de nouvelles molécules
capables de laisser circuler une aptitude au bonheur. Il
mène lui-même des recherches cliniques en ce
sens auprès d’une quarantaine de patients schizophrènes.
Chez ces patients, une caractéristique mésestimée
est leur forte tendance à la toxicomanie. De 75 %
à 85 % des jeunes psychotiques consomment des drogues
ou de l’alcool, évalue le Dr Roy. Or, les médicaments
qui traitent la schizophrénie sont en grande partie
testés sur des sujets sobres.
Située au centre de désintoxication Dollard-Cormier,
rue Prince-Arthur, à Montréal, la clinique
Cormier-Lafontaine a été créée
sur mesure pour les cas les plus lourds de toxicomanie combinée
aux troubles de santé mentale, un phénomène
que le fondateur de la clinique appelle la «double
pathologie». Jusqu’à l’ouverture
de la clinique, cette clientèle était en quelque
sorte laissée à elle-même, partageant
son temps entre les hôpitaux psychiatriques, les centres
d’hébergement et la rue.
Chercheur : Jean-Yves Roy
Téléphone : (514) 251-4000
Courriel : jean-yves.roy@umontreal.ca
Financement : Astra-Zeneca