Volume 40 - numéro 18 - 30 janvier 2006 |
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Les médicaments essentiels pourraient sauver deux-milliards d’êtres humains«Les utopies d’hier sont la réalité d’aujourd’hui», signale Daniel Weinstock
Plus du tiers de l’humanité, soit deux-milliards d’êtres humains, n’a pas accès à des médicaments qui pourraient lui sauver la vie. Pour corriger cette lacune, un groupe de chercheurs et de professeurs venus des quatre coins du monde se sont réunis à Montréal le 30 septembre dernier pour trouver une solution à cette iniquité. De leur discussion est née la Déclaration de Montréal sur le droit fondamental aux médicaments essentiels. Selon ce document qui pourrait faire son chemin jusqu’à l’Organisation des Nations unies, l’accès aux traitements pharmaceutiques devrait être un «droit fondamental» même pour les gens qui n’ont pas les moyens de se les payer. Qu’est-ce qu’un médicament essentiel? C’est un médicament qui figure sur une liste établie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et qui s’attaque à un problème criant de santé publique. Selon la déclaration adoptée par le groupe et lancée en décembre, les médicaments essentiels sont ceux qui «satisfont les besoins prioritaires en santé des populations, selon leur pertinence en santé publique, l’approbation de leur qualité, efficacité et sécurité, ainsi que leur cout-efficacité en comparaison d’autres produits». «En Afrique, le sida a fait 40 millions de morts et tue des milliers d’enfants chaque jour. C’est presque surréel d’entendre parler de la mobilisation mondiale contre la grippe aviaire, qui jusqu’à maintenant a causé la mort de 80 personnes», lance le philosophe Daniel Weinstock, directeur du Centre de recherche en éthique de l’UdeM (CREUM), qui organisait la rencontre du 30 septembre en collaboration avec le Centre for Applied Philosophy and Public Ethics, de l’Université nationale australienne. Sans vouloir s’attaquer aux mécanismes de confinement du virus H5N1, le professeur Weinstock s’explique mal qu’un si grand nombre de gens voient encore le sida comme une maladie mortelle. La mise au point de traitements contre le sida, comme la trithérapie, a pourtant prolongé la vie d’innombrables sidéens de pays riches. Vœux pieux?Pour Renaldo Battista, directeur du Département d’administration de la santé à la Faculté de médecine, la «logique de marché» de l’industrie pharmaceutique ne peut justifier le fait que les pays riches tournent le dos aux populations mourantes, alors qu’ils possèdent la clé de leur survie. «C’est un scandale», résume-t-il. Bien sûr, si l’on applique la logique marchande aux rapports Nord-Sud, la distribution de médicaments a un cout énorme que les pays en développement ne peuvent assumer seuls. M. Battista rapporte que, sur les 3000 ou 4000 études pharmaceutiques portant sur les nouvelles molécules, à peine une dizaine concernent des problèmes majeurs de santé publique de pays en développement comme la malaria. «Mais la première maladie qui nous vient à l’esprit quand on aborde cette question de l’accès aux médicaments essentiels, c’est évidemment le sida.» Quand on pense que plusieurs pays d’Afrique ont un budget de santé qui ne dépasse pas 10 ou 20$ par personne et qu’un traitement de trithérapie peut couter 3000$ par an, on comprend que le fossé est immense. La solution passe par une aide internationale, en commençant par l’effacement de la dette. «La responsabilité des gouvernements envers l’accomplissement des droits fondamentaux comprend l’assistance et la coopération internationales, dit l’article 9 de la Déclaration. Les États disposant de ressources doivent en conséquence assurer un système d’échanges et d’investissements plus juste, affranchi du handicap de la dette.» Par ailleurs, «tous les gouvernements ont le devoir, en qualité de membres et votants au sein d’institutions internationales financières, monétaires, commerciales et de développement, [...] d’assurer que le droit fondamental aux médicaments essentiels se prolonge à travers les politiques de prêt, de crédit, d’échange et d’assistance menées dans le cadre de ces agences et institutions.» Des vœux pieux? Renaldo Battista réfute l’idée. «Il faut considérer l’aide internationale autrement», commente-t-il. De même, le système des brevets qui accompagne tout progrès pharmaceutique est inapproprié pour le tiers-monde. Par ce système, les chercheurs se concentrent principalement sur les maladies «utiles» aux pays riches, où l’on peut avoir un retour sur l’investissement. Utopie aujourd’hui, réalité demainAu colloque de l’automne, des participants ont suggéré des avenues nouvelles pour aborder la santé publique mondiale. Grâce à un système de compensations calculées à partir des vies sauvées et non des retombées économiques, les entreprises pharmaceutiques recevraient des sommes pour s’attaquer aux plus graves causes de mortalité. Mais n’est-ce pas utopique de penser renverser une façon de faire bien implantée et fortement soutenue par l’idéologie dominante que les chercheurs d’universités et de centres de recherche privés ne remettent aucunement en question? «Certainement que cela relève de l’utopie, avoue candidement Daniel Weinstock. La Déclaration de Montréal n’a aucune portée légale et aucun gouvernement n’y est assujetti. Mais la mobilisation de l’opinion publique est parfois nécessaire pour faire bouger les choses. Quand le mouvement anti-apartheid a vu le jour, personne n’osait imaginer Nelson Mandela à la tête de son pays.» Et les premières personnes à avoir défendu l’investissement responsable ont été beaucoup plus méprisées qu’admirées. Pourtant, aujourd’hui, toutes les entreprises se disent sensibles à leur engagement social. Les invités à la rencontre de l’automne dernier et qui ont donné le coup d’envoi à la Déclaration de Montréal, en plus des spécialistes de l’Université de Montréal, dont la principale instigatrice, Mira Johri, sont James Orbinski, de l’Université de Toronto et ex-président de Médecins sans frontières; Carlos Correa, de la Faculté de droit de l’Université de Buenos Aires; Jim Yong Kim, du Département de VIH/sida à l’OMS; Thomas Pogge, du Centre de philosophie appliquée et d’éthique publique de l’Université nationale australienne; et Stephen Lewis, envoyé spécial de l’ONU en 2001 pour le VIH/sida en Afrique. Mathieu-Robert Sauvé La déclaration est traduite dans une dizaine de langues et peut-être consultée dans son entier sur www.accessmeds.org Les personnes souhaitant soutenir cette initiative sont invitées à y apposer leur signature. Les initiateurs souhaitent ainsi lancer un vaste mouvement citoyen international en mesure d’influer sur les politiques des gouvernements. |
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