Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 23 - 13 mars 2006
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 Archives de Forum

Un piano haut de gamme pour créer le premier pianiste virtuel

L’UdeM a fait l’acquisition du seul Bösendorfer numérique en Amérique du Nord

La mémoire réactive les marteaux pour reproduire la pièce telle qu'elle a été jouée par le pianiste.

En apparence, le piano à queue qu’on découvre dans une petite salle de répétition au sous-sol de la Faculté de musique, ne semble pas très différent des instruments qu’on installe à la Place-des-Arts à l’occasion d’un récital d’Alfred Brendel, Ivo Pogorelich ou Marc-André Hamelin. Même l’air de jazz que pianote Douglas Eck («Désolé, je ne sais pas jouer autre chose», précise-t-il) n’a pas une sonorité saisissante aux oreilles du profane.

Là où la surprise est totale, c’est lorsque le piano reprend sous nos yeux, dans ses moindres détails, la mélodie qu’on vient d’entendre. Prodigieux. Même les touches blanches et noires sont enfoncées par un pianiste invisible, qui semble caché à l’intérieur de l’instrument.

À ne pas confondre avec les folkloriques pianos mécaniques répétant des airs de saloon, cet instrument est doté d’un système informatique à la fine pointe de la technologie. Le professeur Eck, qui enseigne depuis trois ans au Département d’informatique et de recherche opérationnelle (DIRO), explique que ce Bösendorfer (un facteur autrichien) est le seul de son genre en Amérique du Nord.

«Ce piano est spécial parce qu’il permet d’enregistrer une interprétation, au moyen de capteurs extrêmement précis, de la numériser et de la reproduire», dit le spécialiste en montrant les ordinateurs intégrés à la structure. Sur le plan acoustique, ce piano se compare avantageusement aux grands Steinway de concert. Mais grâce à ses caractéristiques, il peut aider les chercheurs à lever le voile sur plusieurs mystères de l’interprétation pianistique.

Dans quel but? Pour faire avancer les connaissances, bien entendu. Mais aussi afin de créer rien de moins qu’un virtuose virtuel.

Le mystère de l’interprète

Photocopiées ou parcheminées, les partitions de Wolfgang Amadeus Mozart, Frédéric Chopin ou Franz Liszt sont un ensemble de notes sur des portées avec des clés, des silences, des mesures, des rythmes. Pourtant, chaque fois qu’un pianiste les déploient devant lui, elles prennent une couleur particulière. Les notes sont les notes, c’est l’interprète qui leur donne vie. Sans interprétation, il n’y aurait pas de musique.

«Quels sont les détails qui rendent une interprétation magistrale? C’est un mystère qui persiste», souligne l’informaticien, chercheur au sein du Brain, Music and Sound (BRAMS), le groupe de recherche sur la perception musicale formé l’an dernier par l’Université de Montréal, l’Université McGill et l’Institut neurologique de Montréal.

Le professeur Eck a pu compter sur l’appui de la Fondation canadienne pour l’innovation, qui lui a accordé en 2005 un financement de 710 000$ pour mener des recherches dans son laboratoire, baptisé Groupe apprentissage machine en musique ou GAMME. Une partie de cette somme a servi à acquérir la pièce maitresse du laboratoire, le fameux Bösendorfer, temporairement logé à la Faculté de musique. «Avec cet instrument, nous souhaitons constituer une base de données suffisamment complète pour parvenir à élaborer une forme d’intelligence artificielle en matière artistique, reprend le professeur Eck. C’est un projet très excitant.»

On aimerait attirer une dizaine de grands pianistes à l’Université de Montréal pour enregistrer leur interprétation de la Toccata opus 7, de Robert Schumann, par exemple. La onzième interprétation, celle de l’ordinateur, tiendrait compte de l’ensemble des approches pianistiques, mais sans en copier aucune. Ainsi, on aurait notre interprète virtuel.

Il ne s’agit pas de remplacer le pianiste de concert par un instrument qui s’exécuterait tout seul, rassure M. Eck. Cette recherche mènera plutôt, éventuellement, à une meilleure compréhension de la musicalité sur le plan fondamental. Cependant, la mise au point d’un véritable interprète virtuel demeure un objectif dans un secteur bien loin des amateurs de Chopin ou de Mozart: l’industrie du divertissement interactif. Les multinationales du divertissement rêvent de pouvoir générer par ordinateur des environnements sonores qui soient toujours différents mais qui créent des atmosphères similaires.

Un parcours inusité

De par sa double expertise d’informaticien et de spécialiste de la musique (il est lui-même pianiste amateur), Douglas Eck a participé au projet de Radiolibre.ca (voir Forum du 20 février 2006, «Pour une fois, c’est la radio qui vous écoute!») en concevant un programme capable de regrouper les styles musicaux. Les auditeurs qui aiment tel ou tel genre de musique peuvent ainsi avoir accès à une sélection de chansons qui leur convienne.

Citoyen américain, Douglas Eck est originaire de l’Indiana et a étudié, notamment, en Suisse et à l’Université de l’Indiana. Désireux depuis une dizaine d’années d’établir un pont entre les arts et l’informatique (il possède un baccalauréat en littérature), il s’est tourné vers les circuits neuronaux et l’intelligence artificielle. Il enseigne actuellement l’apprentissage informatisé (machine learning).

Parlant couramment l’anglais, le français et l’italien, ce surdoué de 36 ans a déménagé à Montréal pour occuper le poste de professeur adjoint au DIRO qu’on lui proposait. C’est la possibilité d’effectuer des recherches au sein du futur BRAMS qui a fait pencher la balance. Il trouve l’hiver bien long, mais apprécie la lumière qui s’en dégage, les jours où le ciel est bleu. «Dans l’Indiana, il fait gris tout l’hiver.»

Avec sa femme, une architecte également d’origine américaine, il s’est installé à demeure dans la métropole, où ils élèvent leurs deux enfants. Samuel, le plus jeune, a seulement deux ans. «C’est notre petit Québécois», sourit le père.

Pour l’instant, Douglas Eck attend l’autorisation d’emménager dans ses locaux du 1420, boulevard Mont-Royal. C’est là que sera installé le piano Bösendorfer. «On a bien hâte de commencer nos travaux. Un piano comme celui-ci, faut l’utiliser», lance-t-il.

Mathieu-Robert Sauvé

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