Volume 41 - numÉro 8 - 16 octobre 2006
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Enseigner en Chine postmaoïsteLuc Duhamel revient d’un séjour d’enseignement à Wuhan
Preuve que la Chine change: Luc Duhamel, professeur au Département de science politique, était invité au printemps dernier par l’École de sciences administratives de l’Université de Wuhan, dans le centre du pays, à donner des cours sur la corruption et sur la théorie politique occidentale. L’enseignement de la théorie politique est une nouveauté en Chine. «Ce cours portait sur le processus démocratique, la légitimité politique, la prise de décision des élus, le tout centré principalement sur les États-Unis. C’est un enseignement que les autorités n’acceptaient pas de dispenser auparavant», commente Luc Duhamel. La Chine lui est apparue comme un pays très ouvert aux étrangers, malgré une surveillance évidente de leurs activités. «Il est beaucoup plus facile de sortir de la Chine que ce ne l’était en Russie communiste et deux millions d’Américains vivent en permanence dans le pays, souligne-t-il. Les Chinois ont une certaine admiration pour les réalisations économiques des États-Unis, mais pas pour leur système politique.» Autre pays, autres mœurs; pour des questions d’accessibilité à la salle multimédia, Luc Duhamel a dû donner ses cours les samedis et les dimanches et personne n’a demandé d’accommodement raisonnable! Malgré la nouveauté de ce type d’enseignement, le professeur a pu observer que les ouvrages nécessaires à un tel cours sont disponibles et que les étudiants peuvent se permettre de critiquer le régime. «En science politique, l’esprit critique est bien implanté», affirme-t-il. La corruption chez le voisinC’est à titre d’expert de la Russie que le professeur Duhamel a été invité en Chine. Le cours sur la corruption traitait en fait de la corruption en Russie! «Les étudiants pouvaient établir des rapprochements avec leur pays, ce que je n’aurais pas été autorisé à faire, déclare-t-il. Les récriminations des Chinois portent d’ailleurs davantage sur la corruption que sur le manque de démocratie. Certains souhaiteraient même le retour aux politiques de Mao pour lutter contre la corruption.» Cette préoccupation revêt une importance cruciale puisque, selon le politologue, le régime soviétique est tombé à cause de la corruption. Est-ce ce qui guette le géant chinois? Selon le professeur, le régime est très solide, mais pourrait s’effondrer à la suite de luttes internes comme ce fut le cas en URSS lorsque Gorbatchev a joué la carte du libéralisme. Pour l’instant, l’exemple de la Russie reste celui à éviter aux yeux des Chinois. «Les Chinois veulent le pluralisme politique et la fin de la corruption, mais sans casser la machine comme cela s’est produit en Union soviétique, où l’État s’est écroulé pour laisser la place à un capitalisme sauvage, remarque Luc Duhamel. Le Parti communiste croit qu’il pourra contrôler le développement économique pour éviter les trop grands écarts de richesse.» Selon le professeur, les réformes économiques ont permis un progrès impressionnant et il a pu en observer les retombées en comparant la situation actuelle avec celle qui prévalait lors de son premier séjour, en 1998. «À Wuhan, une ville de 7,8 millions d’habitants, les magasins à grande surface se multiplient et l’on peut trouver des chemises à 200$, ce qui veut dire qu’il y a des gens pour les acheter. On compte également, dans cette seule ville, 55 autos de plus par jour!» Poursuite des réformes
Les réformes économiques ont donc amené un meilleur niveau de vie et la population s’attend à ce que le pays continue sur sa lancée. «Les dirigeants sont parvenus à faire accepter à la population que la hausse du niveau de vie est plus importante que les réformes démocratiques, qui n’apportent pas à manger», poursuit le professeur. Une vision que lui-même ne peut condamner. «Le progrès économique implique une accumulation de capital, sinon on n’aura que de la pénurie à distribuer! Cela ne pouvait se faire en régime économique étatique et nécessitait la privatisation de l’économie.» Mais on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, ajoute-t-il, conscient des problèmes qui se posent et des écarts qui s’installent malgré les discours officiels. «Si le Parti communiste voulait hausser le taux de croissance, c’est réussi; la croissance économique est de 10% par année. Malgré les difficultés, la population désire la poursuite de la croissance et veut augmenter la production de biens de consommation. Est-ce la société idéale? Non. Mais il faut juger le progrès en fonction du sous-développement dans lequel ce pays de 1,3 milliard d’habitants était il y a 30 ans. La Chine fait ce que les États-Unis et l’Angleterre ont accompli en un siècle.» Le professeur en a également long à raconter sur la vie quotidienne en Chine: le chauffage insuffisant, les fenêtres sans vitres qui laissent entrer le froid comme les moustiques, le manque de papier hygiénique. Sans compter la pollution galopante, autant industrielle que due aux mauvaises habitudes individuelles comme celle de jeter les déchets domestiques dans la rue ou dans les rivières. Un problème auquel la Chine devra s’attaquer avant longtemps pour éviter qu’il s’amplifie comme en Occident. Daniel Baril |
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