Volume 41 - numÉro 14 - 4 DÉCEMBRE 2006
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Les découvertes de la «grammaire générative»L’approche chomskienne en linguistique permet de révéler des formes syntaxiques ignorées des grammaires
Même dans les grammaires françaises les plus complètes, certaines constructions parfois utilisées dans la langue de tous les jours sont totalement ignorées. Ces constructions, tout à fait correctes, ont été débusquées à l’aide de l’approche «générative», mise au point par le linguiste Noam Chomsky. Deux professeurs du Département de linguistique et de traduction, Christine Tellier et Daniel Valois, en ont fait l’objet d’un volume qui vient de paraitre aux Presses de l’Université de Montréal: Constructions méconnues du français. L’ouvrage donne accès, pour la première fois en dehors des revues spécialisées, aux données des études chomskiennes en présentant une dizaine de constructions qui ne sont décrites que partiellement dans les grammaires traditionnelles ou qui en sont absentes.
La grammaire chomskienne Pour les chomskiens, les formes universelles observées dans les constructions de différentes langues montrent que nous avons une prédisposition génétique à structurer le langage. À partir d’éléments langagiers limités, le cerveau arrive, par un procédé combinatoire, à faire des agencements infinis. C’est le code inné qui permet l’agencement des mots en phrases pour former une combinaison d’idées et grâce auquel il est possible d’en comprendre le sens qui est appelé «grammaire générative». Un des procédés de l’approche générative consiste à vérifier auprès des locuteurs quelles sont les phrases possibles ou impossibles selon le génie de leur langue. «Nous pouvons ainsi connaitre ce qui fait partie du français et ce qui n’en fait pas partie au-delà des corpus donnés par les grammaires, observe Christine Tellier. C’est un peu comme le code de la route; pour saisir le comportement des conducteurs, il faut savoir ce qui est interdit.»
Dix constructions oubliées Parmi les mythes, il y a celui des éléments qui et que, considérés comme des pronoms relatifs par les grammaires courantes lorsqu’ils introduisent une proposition relative: «Le livre qui est sur la table…» ou «L’homme que j’ai vu…» par exemple. «Des arguments très solides montrent que, dans ces phrases, qui et que ne sont pas des pronoms relatifs, mentionne Mme Tellier. Il s’agit plutôt d’une même conjonction dont la forme phonétique varie.» Ils n’auraient que l’apparence du pronom relatif sans en avoir les propriétés. Plus intéressantes encore sont les constructions de «possession inaliénable», qui désignent la relation entre un possesseur et un objet ne pouvant être dissocié du possesseur. «Lorsqu’un possesseur est un être humain et que l’objet possédé est une partie de son corps, on peut faire une construction où le possesseur et la partie du corps remplissent deux fonctions différentes dans la phrase, note Mme Tellier. Par exemple, la construction “J’ai attrapé Julie par le bras” est impossible si l’objet possédé n’appartient pas au corps comme dans “J’ai attrapé Julie par le livre”.» Dans certains cas, un vêtement peut être inaliénable au possesseur: «Je l’ai pris par la manche.» Mais cette construction n’est pas possible dans toutes les situations: «J’ai bougé le bras» ne peut pas être remplacée par «J’ai bougé la manche». Les constructions à «vides parasites» sont une autre forme syntaxique mise au jour par la grammaire générative. L’expression désigne une construction où le complément d’un verbe est implicite: «Voici un dossier qu’il faut lire avant de classer.» Tous comprennent que l’objet à classer est le dossier, même si le pronom le est omis. Mais l’omission du pronom n’est pas toujours possible; la phrase «Tu as lu ce dossier avant de classer» est incorrecte. Pour les générativistes, ce type de construction est particulièrement révélateur des mécanismes innés de structuration des phrases puisqu’il ne peut relever de l’apprentissage par induction. «Il n’est pas plausible d’imaginer qu’un principe de la Grammaire universelle existe uniquement pour régir la syntaxe de constructions marginales, peut-on lire dans le volume. Leurs propriétés illustrent les effets d’une combinaison de principes qui, indépendamment, régissent d’autres constructions.»
L’évolution contrainte «On ne sait pas toujours pourquoi une langue évolue, mais on sait qu’elle demeure un système cohérent au fil de ses transformations, souligne Daniel Valois. L’évolution n’est pas le résultat d’une recherche d’efficacité accrue; la langue conserve toujours sa précision et sa complexité.» Constructions méconnues du français n’est cependant pas un ouvrage de théorie chomskienne. Les deux chercheurs ont plutôt choisi de mettre l’accent sur les descriptions issues de l’approche générative plutôt que sur les concepts fondamentaux. Le lecteur trouvera toutefois dans chacun des chapitres plusieurs encadrés expliquant les expressions utilisées ainsi que la méthode. Malgré le niveau assez pointu de l’analyse, le livre s’adresse, selon les deux auteurs, «à tous les curieux de la langue». Daniel Baril |
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