Volume 41 - numÉro 16 - 15 JANVIER 2007
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Le modèle de Piaget remis en questionComment s’opère le classement hiérarchique des catégories chez les enfants?
Sans qu’on ait eu à le lui dire explicitement, un enfant de deux ans sait que, si Fido est un nom de chien, Fido est aussi un animal, un animal qui jappe et qui possède les propriétés de ce qui est vivant. Ce qui nous apparait d’une banale évidence révèle un processus cognitif fort complexe: la catégorisation. Cette méthode de classement faisant appel à des habiletés cognitives innées se fait bien souvent de façon hiérarchique; le niveau supérieur d’une catégorie telle que «animal» englobe, à la manière des poupées russes, les niveaux inférieurs comme «chien», «poisson», «oiseau», etc. «Ce type de hiérarchisation constitue l’une des formes d’organisation des connaissances les plus répandues autant chez l’enfant que chez l’adulte, affirme Joane Deneault. Plusieurs processus cognitifs, comme la mémorisation et la capacité de déduire des informations lorsqu’on est en présence de quelque chose de nouveau, s’appuient sur cette organisation.» Le caractère inclusif des catégories, qui fait qu’on attribue à tout animal inconnu les caractéristiques des catégories qui l’englobent, comme dans l’exemple de Fido, ne fait pas de doute chez l’adulte. Mais plusieurs chercheurs considèrent que ce processus de hiérarchisation ne serait achevé que vers l’âge de sept ou huit ans. Sous la direction de Marcelle Ricard, professeure au Département de psychologie, Joane Deneault a consacré ses travaux de doctorat à l’étude des phases de la hiérarchisation des catégories chez l’enfant afin de tirer cette question au clair. Ses résultats, publiés dans le numéro d’automne 2006 du Journal of Cognition and Development, ont permis de préciser les modèles théoriques proposés jusqu’à maintenant, dont celui de Jean Piaget.
Procédés thématique et taxinomique Progressivement et sous l’effet de sa propre réflexion, l’enfant finira par établir des classements décontextualisés en passant du thématique au taxinomique. Suivant le modèle piagétien, il y a donc un changement de nature dans l’organisation des catégories au fil du développement de ses habiletés cognitives. Ce modèle a été remis en question par l’école américaine. «Plusieurs travaux montrent que les enfants d’âge préscolaire sont capables de classement taxinomique et préfèrent même ce type de relations dans certains contextes, souligne la chercheuse. De plus, des adultes vont mieux aimer, selon les situations, les relations thématiques. La tendance à préférer un type de relations plutôt qu’un autre semble largement dépendre du contexte et de la tâche à accomplir.» Comme Jean Piaget recourait à des tâches quantitatives complexes (on présente par exemple à l’enfant deux images de chiens et cinq de lapins et on lui demande s’il y a plus de lapins que d’animaux), Joane Deneault a ajouté à ces exercices des tâches qualitatives. «Quand on dit à l’enfant qu’un nom fictif comme “dax” est un chien, le fait de savoir qu’un chien est un animal permet de déduire que le dax est un animal, indique-t-elle. Si l’enfant établit cette relation, c’est qu’il est capable de hiérarchisation.» Du même coup, elle a pu évaluer la compréhension qu’ont les enfants des deux principes logiques de la hiérarchisation, soit la transitivité des relations entre les catégories (établir le transfert entre la nouvelle catégorie «dax» et la catégorie «animal») et l’asymétrie de ces relations (tout animal n’est pas un chien).
Taxinomie dès cinq ans
«C’est la première fois que l’on compare la capacité des enfants à faire des inférences qualitatives et quantitatives afin de déterminer les étapes de la hiérarchisation, signale Mme Deneault. Les chercheurs américains, dont Pamela Blewitt, croyaient que c’était ces deux types d’inférences qui caractérisaient les étapes du développement, mais ce sont plutôt les principes logiques de la transitivité et de l’asymétrie. Quant à Jean Piaget, il avait raison de situer la maitrise des relations d’inclusion vers l’âge de huit ans, mais il n’avait pas tenu compte d’un premier niveau de compréhension complètement distinct: celui où l’enfant comprend la transitivité.» Selon la chercheuse, qui est aujourd’hui professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski, ces résultats peuvent avoir des retombées directes dans le domaine de l’éducation. Par exemple, les activités mathématiques proposées aux enfants du primaire pour accroitre leur compréhension des classements ne font habituellement appel qu’à la transitivité, ce qui serait insuffisant à son avis pour développer l’ensemble des compétences liées au classement. «Des activités qui reposent sur la maitrise du principe de l’asymétrie devraient également être présentées aux enfants à condition bien sûr qu’ils soient assez âgés pour en tirer profit», mentionne Joane Deneault. Daniel Baril |
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