Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 31 - 4 Juin 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

L’automobile modifie notre façon de nous alimenter

Le concept d’urbanisme santé a un sérieux défi à relever

Pour Louise Larrivée, il n’y a rien comme se rendre à pied à la fruiterie du coin.

Les urbanistes commencent à être sensibilisés aux effets que peuvent avoir les aménagements urbains sur la santé. Un nouveau concept est d’ailleurs en train de voir le jour, l’urbanisme santé, qui consiste à aménager des quartiers de façon à favoriser les courts déplacements à pied et une saine alimentation. Mais cette vision louable risque de se heurter à des habitudes profondément ancrées chez les Nord-Américains, qui ont évolué en symbiose avec l’automobile.

Louise Larrivée, étudiante au Département de médecine sociale et préventive, a scruté les désirs et habitudes d’une population urbaine en combinant ces deux éléments, déplacements et alimentation, qui ont une influence sur le poids santé. Ce qui ressort de son enquête exploratoire, menée au cours d’un stage à l’Institut national de santé publique du Québec, laisse songeur: l’automobile est utilisée pour faire son marché peu importe la distance et cela est justifié par le poids des sacs d’épicerie. Le poids de ces sacs est quant à lui en lien avec l’habitude de faire son marché une fois par semaine, habitude acquise avec l’automobile!

Le cercle vicieux de l’étalement
L’étudiante a interviewé une trentaine de résidants de deux quartiers de Longueuil. Le premier, constitué principalement d’habitations unifamiliales, compte deux épiceries. Deux supermarchés se trouvent en outre à proximité, mais sont séparés de l’aire d’habitation par un grand boulevard commercial. Le second quartier ne comporte aucun commerce d’alimentation, mais une «épicerie de commodité» – offrant une vaste gamme de fruits et légumes frais ainsi qu’une boucherie – est située à un demi-kilomètre; les deux supermarchés sont pour leur part à trois kilomètres de ce quartier.

Quatorze résidants sur 15 dans le premier quartier et 8 sur 15 dans le second préfèrent s’approvisionner aux deux supermarchés plus éloignés plutôt qu’aux épiceries plus rapprochées. Quel que soit le commerce d’alimentation choisi, tous les résidants qui possèdent une voiture, soit 27 des 30 personnes interrogées, l’utilisent pour faire leur marché.

Les déplacements à pied vers les épiceries plus proches ne se font que pour aller acheter un produit qui manque. «Les gens se servent de ces épiceries comme d’un dépanneur pour se procurer du lait, du pain ou un légume», souligne Louise Larrivée.

Paradoxalement, la distance est l’une des principales raisons invoquées pour justifier l’usage de l’automobile par les résidants du second quartier, même si une épicerie complète est accessible à pied à proximité. Dans les deux quartiers, le poids des sacs est le premier motif donné pour les déplacements motorisés.

La très grande majorité des personnes rencontrées, soit 22 sur 30, ne se rendent qu’une ou deux fois par semaine au marché, le deuxième déplacement s’effectuant souvent à pied vers le dépanneur. Ce qui veut dire que l’essentiel de l’approvisionnement alimentaire se fait en une seule visite hebdomadaire au marché, d’où l’importance du nombre de sacs.

Le recours au service de livraison à domicile est par ailleurs complètement ignoré: une seule personne sur 30 a dit y recourir! «Les gens ne profitent pas de ce service parce que faire le marché fait partie d’une chaine de déplacements; ils iront en même temps conduire leur enfant au gymnase ou passeront par la quincaillerie. Ils combinent l’épicerie hebdomadaire avec ces autres déplacements pour gagner du temps; la gestion du temps apparait comme un facteur dominant», a observé l’étudiante.

Autre indice montrant que l’automobile change les perceptions du temps et de l’espace: presque tous les répondants (26 sur 30) considèrent que le nombre d’épiceries dans leur quartier est suffisant, même si celle où ils font leur marché est située à trois kilomètres! De plus, 23 des répondants affirment que l’aménagement urbain n’a pas d’influence sur leur façon de faire leur épicerie, bien qu’ils doivent utiliser la voiture pour cela. «L’automobile modifie la notion de distance et de quartier», en conclut Mme Larrivée.

Véritable cercle vicieux, l’automobile favorise donc l’étalement urbain et cet étalement accentue la dépendance à l’automobile.

Des questions pour les urbanistes
«En Europe, les gens ont plus tendance à passer quotidiennement par les épiceries en revenant du travail, signale Louise Larrivée. La densité de population rend possible l’existence de petits commerces spécialisés comme les fruiteries, les boulangeries ou les boucheries de quartier; ici, l’étalement urbain rend difficile un tel aménagement.»

L’étudiante, qui présentait les résultats de sa recherche au dernier congrès de l’ACFAS, invite donc les urbanistes à bien mesurer les habitudes et les désirs de la population pour s’assurer de la viabilité des projets d’urbanisme santé.

«Il faut se demander ce que les gens veulent; les projets de quartiers mixtes nécessitent une certaine densité de population alors que les gens quittent les zones urbaines trop peuplées. Ce qu’ils souhaitent, ce n’est pas nécessairement une fruiterie à deux pas de chez eux, mais un quartier où les enfants pourront jouer dans la rue, quitte à utiliser la voiture pour aller au marché. Pour les faire bouger, il faudra tenir compte de ces désirs», fait-elle remarquer.

Les urbanistes seraient-ils donc en avance d’une révolution sur les banlieusards?

Daniel Baril

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